Aller au contenu

Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

même cause, et les geôliers les regardaient d’un mauvais œil, et les traitaient plus mal que les voleurs, leurs pensionnaires d’habitude. Il nous dit aussi que M. Masfrangeas avait eu bien du mal à le faire lâcher, et qu’on ne l’avait fait, qu’en ce qu’il s’était engagé formellement, et avait promis pour mon oncle, qu’il se tiendrait coi. Il avait su aussi tous les méchants rapports que le fameux Lacaud avait faits contre lui.

— Quelle canaille ! s’écriait Lajarthe. Voilà deux hommes dont les grands-pères étaient amis comme deux frères ; deux hommes qui, étant petits, se tutoyaient et s’amusaient ensemble, et voici que l’un d’eux dénonce l’autre, et fait tout ce qu’il peut pour l’envoyer mourir delà les mers ! Quelle canaille !

Quand mon oncle eut fini de souper, je fus chercher de l’eau-de-vie pour choquer de verre tous ensemble à l’occasion de son retour.

Revenus devant le feu, nous devisions tout doucement de toutes les choses qui s’étaient passées depuis un mois ; mais, après le premier moment de contentement en retrouvant sa maison, sa famille et ses amis, nous nous aperçûmes que mon oncle était redevenu triste. Ma femme le lui dit et alors il lui répondit :

— C’est que vois-tu, ma fille, je pense à ceux que j’ai laissés à la prison, à ceux qu’à cette heure on transporte, entassés dans la cale des vaisseaux, en Afrique ou à Cayenne, où les attend la mort…

Et nous restâmes tous bouche close, les yeux dans le foyer.