Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/373

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Il était tout clair qu’un régent comme ça était prêt à faire la volonté de M. le Maire et de M. le Curé ; mais encore il fallait un prétexte, pour renvoyer mes droles, et je me promis bien de tirer ça au clair. Le soir je voulais descendre au bourg pour parler à ce régent, mais mon oncle me dit :

— Tu ne le verras pas, il sera au prêche de la mission.

Car nous avions une mission ; oui, on avait envoyé deux moines, pour ramener les gens de la paroisse dans le bon chemin. Ces moines étaient deux gaillards bien découplés, chacun dans leur genre. Celui qu’on appelait le père Fulgence, était un homme de belle taille, bien fait, la figure bien en couleur, avec une belle barbe blonde. Les gens au courant des affaires des sacristies, disaient qu’il était noble, et vrai ou non, ça préparait bien les bonnes âmes disposées à se laisser tomber.

C’était lui qui était chargé de catéchiser les gens comme il faut, et comme il avait la langue bien pendue, les paroles emmiellées, les manières douces, il réussissait beaucoup dans ce monde-là : on racontait aussi, que ses pieds nus bien blancs attendrissaient aux larmes les dames qui l’écoutaient.

Le père Barnabé, lui, était un gros moine trapu et pansu, noir comme une mûre, avec une barbe frisée qui lui montait jusqu’aux yeux. C’était lui qui prêchait pour les paysans, avec une grosse voix brâmante qu’on entendait de chez Maréchou, et de temps en temps il faisait un prêche, rien que pour les hommes, et ceux qui y avaient été racontaient qu’il en disait de bonnes.

Depuis que les Cordeliers d’Excideuil avaient été renvoyés chez eux à la Révolution, on n’avait pas vu de ces gens dans le pays, de manière que la curiosité était grande dans les premiers jours, et que l’église était bondée tous les soirs. Mais, si ça changeait un