Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/69

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venait pas à l’idée que les allusions malicieuses de quelques dames en visite chez lui pussent l’intéresser. Sa pensée ne s’arrêtait pas sur ces méchantes plaisanteries qui lui semblaient des bavardages inconsidérés de caillettes désœuvrées.

Cependant, ces caquetages répandus dans la ville avaient pénétré jusqu’au couvent. Liette, un jour de sortie chez sa tante, Mme Duperrier, avait entendu Mme Laugerie, la forte femme de l’ancien capitaine de dragons, commenter clairement les changements qui s’étaient produits dans la personne et dans la maison de Mme Boyssier, et elle avait rapporté ces propos à son amie. Valérie fut irritée de ces suppositions qu’il lui coûtait d’admettre, car il lui semblait que c’était une sorte de félonie de Damase envers elle. Certes, elle ne reconnaissait aucune parité entre ses sentiments et ceux qu’on prêtait à Mme Boyssier, mais elle était troublée dans sa satisfaction orgueilleuse de jeune fille noble, fière d’avoir à son commandement un dévouement absolu sans être obligée à aucune réciprocité. Dans sa pensée, il y avait trop de distance entre elle et Damase pour qu’il pût en être autrement. Pourtant, au fond de son être, il y avait autre chose que l’orgueil, lorsqu’elle songeait à ce culte que lui avait voué le jeune homme ; mais le préjugé nobiliaire l’empêchait de se l’avouer. Lorsque le dimanche allant à l’église paroissiale avec les sœurs, elle voyait Damase le long de la Grand’Rue, il lui semblait que rien n’était changé en lui, que c’était bien toujours les mêmes sentiments dévoués qu’elle lisait dans ses yeux. Le plaisir qu’elle éprouvait à cette constatation aurait dû l’éclairer sur ses sentiments secrets ; mais déjà, chez cette jeune fille, les mouvements du cœur étaient étouffés par les préjugés de caste que devait vaincre seulement l’emportement des sens.