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Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, II, 1884.djvu/135

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appris que vous étiez victorieux et menaciez les poupes des nefs ; et nous dormions ainsi, couchés imprudemment. Moi, arraché au sommeil par la sollicitude de mon cœur, je mesure une abondante nourriture à mes chevaux, pensant qu’il faudra les atteler, au matin, pour le combat. Et je vois deux hommes errant autour de notre armée, dans la nuit épaisse. Mais à peine avais-je remué, qu’ils reculèrent et s’enfuirent. Et je leur criai de ne pas approcher, persuadé qu’ils étaient des pillards venus du camp des Alliés. Et ils ne dirent rien, et je n’en sais pas plus, m’étant couché de nouveau et endormi. Et, dans mon sommeil, une vision m’apparut. Je vis en songe deux loups sauter sur le dos des chevaux que j’ai nourris et que je mène attelés au char où je suis debout auprès de Rhèsos ; et ces loups fouettaient de leurs queues le poil des chevaux et les excitaient, et ceux-ci hennissaient, pleins de colère et se cabraient de terreur. Et moi, voulant chasser ces bêtes féroces loin des chevaux, je m’éveillai, car la terreur nocturne m’agitait. Et, levant la tête, j’entendis le gémissement des mourants. Un chaud jaillissement m’inonda du sang de mon maître égorgé ! Je me levai subitement, désarmé et cherchant à voir et à saisir une épée, quand un homme vigoureux me porta un coup d’épée dans le flanc ; et je sentis le coup, et j’en crois le profond sillon de la plaie. Et je tombai en avant, et ces hommes, ayant enlevé l’attelage, pressèrent la fuite des chevaux. Ah ! ah ! la douleur me ronge ! hélas ! malheureux, je ne puis plus me tenir debout ! Je sais que ce carnage est vrai, l’ayant vu ; mais je ne puis dire ceux qui ont été égorgés, ni par quelle main ; cependant je puis imaginer que ces maux nous ont été causés par des amis.