Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 1.djvu/310

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espèces, l’une qui n’a rien de mauvais, l’autre qui est le fléau des familles ; et si les caractères propres à chacun étaient bien clairs, elles n’auraient pas toutes deux le même nom. Après avoir reconnu d’avance ces vérités, il n’est sans doute aucun breuvage capable de me corrompre au point de me jeter dans des sentiments contraires. Mais je vais vous exposer la route que mon esprit a suivie. Après que l’amour m’eut blessée, je considérai les meilleurs moyens de le supporter. Je commençai donc dès lors par taire mon mal et par le cacher ; car on ne peut en rien se fier à la langue, qui sait fort bien donner des conseils aux autres, mais qui est victime des maux qu’elle s’attire elle-même. Ensuite je résolus de résister au délire de ma passion, et de la vaincre par la chasteté. Mais enfin, ne pouvant, par ces moyens, triompher de Vénus, mourir me parut être le meilleur parti : personne ne condamnera ces résolutions. Puisse, en effet, ma vertu ne pas rester cachée, et mon déshonneur ne point avoir de témoins ! Je ne m’abusais pas, je connaissais l’infamie de ma passion ; je savais d’ailleurs que j’étais femme, objet de haine pour tous. Périsse misérablement la femme qui, la première, souilla le lit conjugal par l’adultère ! C’est des nobles familles que cette corruption commença à se répandre parmi les femmes ; car quand le crime est en honneur auprès des gens de bien, certes il doit l’être bien plus auprès des méchants. Je hais aussi ces femmes qui, chastes en paroles, se livrent en secret à des désordres audacieux. De quel front, ô Vénus ! osent-elles lever les yeux sur leurs époux ? Ne redoutent-elles point les ténèbres, complices de leurs crimes ? ne craignent-elles pas que les voûtes de leurs maisons ne prennent la parole pour les accuser ?