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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/45

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venait le roulement des trains, comme une sourde chanson.

Enfin, il fallait regagner notre quartier. Nous musardions encore. Nous nous arrêtions devant les vitrines des mercières où, entre les garnitures de peignes, les rubans, les dentelles, se dressaient des bocaux de bonbons ; collions notre visage sur les vitres des cafés pour voir jouer au billard ; faisions halte devant une porte cochère, tirions de toutes nos forces la sonnette, et repartions au galop.

Les rues étaient sombres ; la lueur des réverbères tremblotait, rares étaient alors les enseignes lumineuses, et des appareils à gaz éclairaient les étalages. Boulevard Barbes, passait en soufflant le tramway Saint-Ouen-Bastille, de grandes et lourdes guimbardes à impériales dans lesquelles nous sautions lorsque nous avions des sous ; il nous semblait obéir aux appels que lançaient les locomotives sous le pont Marcadet et partir pour un long voyage, mais bientôt le receveur criait le nom de notre station et nous commandait de descendre.

Pour regagner la rue de Suez je suivais la rue de Panama où ma tante, également, était concierge. Je faisais une station dans la loge, près de mon oncle, cordonnier, gros homme dont la main calleuse écrasait ma main, dont la barbe dure me piquait la joue. Au retour de la fabrique, il ressemelait les chaussures de ses locataires et celles de mes cousins dont nos escapades usaient les souliers. Tonton s’occupait de politique, il était membre de la section socialiste du quartier de la Goutte-d’Or. Il discutait ferme avec ses amis ouvriers qui l’entouraient et énergiquement tapait son cuir. Je l’écoutais raconter des histoires que sa voix, ses gestes, rendaient séduisantes comme un conte. Tout à coup, il dénouait son tablier, se levait, et suivi de ses amis partait pour le café.