Aller au contenu

Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je quittais tristement la loge de Tata pour retrouver celle de ma mère qui était aussi calme que notre existence. À chaque pas je buttais contre un meuble ; quand je levais les yeux je voyais un plafond jaunâtre, le papier déteint des murs. Alors je m’appuyais contre la porte. Le nez sur la vitre, je regardais rentrer du travail les locataires.

La rue appartenait à une société immobilière qui y avait construit de laides bâtisses dont les façades s’encrassaient. Chaque immeuble se composait de deux corps de bâtiments : l’un « sur rue », l’autre « sur cour ». Sur rue, vivaient des employés, des bureaucrates, des représentants de commerce ; sur cour, des ouvriers et des familles nombreuses. Cependant, lorsque les locataires passaient devant la loge, moi, je ne savais faire entre eux ces différences auxquelles ma mère se plaisait. Sur le mur barbouillé d’un ton chocolat, je voyais paraître un dos rond, s’approcher un visage terne ; et j’entendais demander : « Pas de lettre, aujourd’hui ? » II n’y en avait presque jamais, ou alors des cartes postales – que je lisais – au moment du jour de l’an et à l’époque des grandes vacances. Le locataire grognait ; en traînant des pieds il traversait le couloir et s’engageait dans l’escalier. J’écoutais, comptais les pas. Il montait pesamment, puis une porte claquait ; il était enfin chez lui, dans sa case, le logement de deux pièces avec « entrée, cuisine, les cabinets ».

Je restais à mon poste. Les locataires qui habitaient sur cour se suivaient et au passage tous me criaient bonsoir. Eux, je prenais plaisir à les voir défiler, des hommes en bourgeron comme je les avais rencontrés à la sortie des usines, des charpentiers au large pantalon de velours, des maçons aux vêtements tachés de plâtre, et d’autres : menuisiers, serruriers, cheminots, drôlement affublés, rasant les murs, disparaissant