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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/47

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vite dans l’ombre. Quelquefois passaient des fillettes, mes petites amies, qui me souriaient ; des jeunes femmes, vendeuses, couturières, le teint avivé par le maquillage ; ou le père Bayer, fruitier, qui allait chercher des marchandises dans sa remise, au fond de la cour.

Les entrées devenaient plus rares, l’envie me prenait de jouer un moment dans le couloir. Un bec de gaz sans manchon l’éclairait, un bec papillon que les courants d’air battaient et dont la flamme crépitante était d’un rouge crasseux. Je m’élançais sur les dalles, glissais, sautais à pieds joints ; le fils des locataires du rez-de-chaussée m’entendait et entre-bâillait sa porte par laquelle une odeur de graillon s’échappait. Tout à coup, ma mère disait : « Va voir dans l’escalier si tous les becs sont bien allumés ! » Je montais les marches deux à deux, m’arrêtant à chaque palier, non pour me soucier de ma consigne, mais écouter aux portes. J’entendais crier, chantonner, remuer des casseroles. C’était ainsi jusqu’au sixième, tout le monde se mettait à table. Et à dix heures, quand on aurait éteint le gaz, le silence commencerait. Du sixième, je me laissais glisser sur la rampe ; il y avait des virages, des arrêts, des départs soudains. Parfois un locataire ouvrait sa porte et criait : « Gare la bûche ! » II me proposait d’entrer un instant, me donnait quelque gâterie que je mangeais en regardant avec un mélange de curiosité et d’envie des meubles plus beaux que ceux dont ma mère tirait pourtant vanité.

Mon père, lui aussi, était rentré du travail. Nous nous mettions à table, serrés entre la porte, le grand lit, la cuisinière. Je me tenais mal, ma tête balançait, mes paupières battaient. « Tu as encore vadrouillé » grognait mon père. À peine avais-je terminé que maman m’envoyait au lit, un petit lit de fer aux barreaux