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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/49

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De nouveau je partais à l’aventure, construisais des barrages de sable dans les ruisseaux, tirais la natte des « quilles » qui se rendaient à la maternelle, grimpais derrière les nacres et injuriais les cochers lorsqu’ils me menaçaient de leur fouet. J’apprenais la géographie et l’histoire en lisant sur les panneaux émaillés des rues les noms des villes, ceux des grands hommes ; je musardais devant les vitrines dont les bariolages amusaient mes yeux ; je frôlais les passants, j’étais curieux de les mieux connaître tant leurs visages nus et leurs paroles m’intriguaient. J’étais un acteur futur d’un drame qui n’a pas cessé de se jouer…

Durant plusieurs années, sans faiblir, ma mère remplit ses fonctions de concierge. Le dimanche la trouvait prisonnière dans sa loge, attentive aux allées et venues des locataires, toujours craignant que des voleurs n’entrassent dans l’immeuble. Les après-midi d’été, mon père rejoignait Tonton et leurs amis dans un café, rue Polonceau, où l’on jouait aux cartes, où l’on préparait les élections. On n’y admettait pas les gosses et je restais avec ma mère.

Tard, lorsqu’elle avait fini son ouvrage, elle consentait à sortir de son trou. Elle s’asseyait sur une chaise devant la porte de l’immeuble, et, immobile, très lasse, prenait l’air tandis que sous ses yeux, sur le trottoir, je dessinais à la craie.

Elle saluait ses locataires qui rentraient. « Il a fait une belle journée d’été, disait-elle ». Eux, revenaient des Tuileries, des Champs-Élysées, du Bois de Boulogne, contrées lointaines où mon père seul, selon ses tournées, se rendait. Moi, je connaissais la verdure pelée du square Saint-Mathieu, du square de la Chapelle, et un dimanche où mon père tint la loge maman et moi allâmes au square Saint-Pierre. Les locataires racontaient à ma mère leur promenade et je voyais son visage s’éclairer. « Ah ! quand on peut,