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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/51

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nouveau quartier. J’en voyais presque toutes les rues, étroites, sinueuses, comme des veines bleuâtres qui lui donnaient vie ; les maisons qui montraient leurs toits de zinc ou de tuiles, et leurs cheminées comme des mâts innombrables ; les usines et les fabriques dont les verrières étincelaient en été. À la limite de Paris s’étendait la zone avec ses baraques de chiffonniers sordides et rapiécées ; au-delà commençait Saint-Ouen et ses longues cheminées empanachées de flocons noirs, plus tristes que des nuages. Saint-Denis. Ensuite un horizon de collines au pied desquelles, vers Gennevilliers et Argenteuil, je croyais voir la Seine miroiter. C’était là ce « Bassin Parisien » dont on me parlait à l’école.

Mon école, je l’apercevais derrière une ligne de beaux marronniers, avec ses murs blancs percés de larges fenêtres, ses toits de zinc. Elle était située au carrefour de la rue Championnet et de la rue du Poteau. Lorsque je partais, maman disait : « Tu sais, de la fenêtre, je verrai si tu es sage. » Je l’étais. Je mangeais à la cantine, restais à la garderie jusqu’à six heures du soir, et libre enfin, retrouvais la rue.

Le jeudi, j’allais vadrouiller sur les fortifs. Je m’arrêtais devant un campement de romanichels. La porte de leur roulotte était ouverte, j’apercevais un intérieur étrange où des gosses se roulaient, où des femmes aux cheveux luisants glapissaient ; des hommes travaillaient et je ne me lassais jamais de les voir tordre adroitement des brindilles d’osier dont ils faisaient des tables, des paniers. À l’écart, un cheval efflanqué tondait l’herbe.

Avec ce spectacle, j’entrais dans un monde merveilleux et libre. Je partais en courant. Devant moi, un dédale de fossés, des bastions, des remparts, où, avec des camarades déguenillés, je roulais et bataillais. On lançait des cerfs-volants qu’on appelait « pipelans ».