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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/52

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On s’étendait auprès d’hommes coiffés de casquettes et chaussés d’espadrilles qui, les jours d’été, restaient à se rôtir au soleil. Du haut des remparts, on apercevait la porte de Clignancourt où l’on construisait alors des casernes, et les baraques du Marché-aux-Puces qui ouvrait le samedi, le dimanche, le lundi. Le vent apportait une bonne odeur de friture, mais parfois aussi celle d’une charogne qui pourrissait dans l’herbe. Des tramways, assez rares, filaient en grinçant vers la banlieue ; un convoi mortuaire descendait le boulevard Ney pour gagner le cimetière de Saint-Ouen, le corbillard sautait sur les gros pavés de la chaussée, des hommes et des femmes le suivaient comme une troupe à la débandade.

Sur les fortifications déclassées, nous jouions à la petite guerre, au gendarme et au voleur, à la balle au chasseur, et souvent un individu sortait de sa poche un couteau à cran d’arrêt et nous faisait jouer à la carotte. Il s’agissait de planter la lame perpendiculairement dans le sol. Nous n’y réussissions guère, mais lui s’y montrait habile ainsi qu’à lancer comme une flèche son couteau dans une planche ; il nous racontait aussi d’étranges histoires, avec des mots que je comprenais mal et dont riait une fille en cheveux qui se suspendait à son cou.

J’avais des relations parmi les zoniers. Certains me recevaient dans leur cabane de planches et de carton bitumé, me laissaient parcourir les allées de leur jardin, marcher à ma guise entre les carrés de poireaux et les carrés de salades. Je contemplais des bordures de pensées, de reine-marguerites, que je n’avais vues que chez les fleuristes. Et à la fraîche, on me permettait d’arroser. La fontaine était loin, près de la poterne du Poteau ; sans me lasser, je faisais jusqu’à dix voyages. On me récompensait de mon effort en me donnant des groseilles acides.