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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/53

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Quelles journées ! Je rentrais à la maison, les joues rouges, des herbes plein les cheveux. Je gardais dans les yeux l’image d’un arbre fruitier et d’un jardin potager où le thym, le persil, le cerfeuil, étaient pour moi des plantes singulières, presque exotiques. Je sentais un grand vent pur, un vent marin fouetter encore mon visage. Les rues étaient moins étroites, moins hautes les maisons. Au-delà de cette enceinte de fer et de pierres, il y avait un ciel libre, des arbres en fleurs et des champs, de grands nuages et de vrais ouragans, la mer enfin pour laquelle je partirais « en train de plaisir ».

Mais je ne partais jamais et je me rabattais sur mon quartier. J’allais vers le sud : la Butte-Montmartre. Tantôt, pour y atteindre, je suivais la rue du Ruisseau, tantôt la rue du Mont-Cenis ou la rue des Saules. Je montais de longs escaliers au milieu desquels se dressait une rampe de fer ; je m’asseyais, me laissais glisser, et remontais les marches sans souffler.

La Butte n’était pas encore le siège d’une « Commune Libre » d’opérette ni un point d’attraction pour les touristes étrangers. Un coin besogneux, avec des allures provinciales toutefois, de petites places à peu près désertes, une église de village et son clocher trapu, un libre horizon lorsqu’on s’attardait au pied du Sacré-Cœur et de la statue du chevalier de la Barre, supplicié pour n’avoir pas salué une procession.

L’église du Sacré-Cœur n’était pas terminée. On pouvait baguenauder dans un vaste chantier, grimper sur des échafaudages d’où l’on découvrait mieux Paris. Un monde aussi inaccessible et lointain pour moi que l’était la mer. Avec les fumées montait une rumeur confuse, des appels qui me troublaient. Je voyais la Tour Eiffel, la Grande Roue, les Invalides,