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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/54

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Notre-Dame, des quartiers qui n’étaient pas le mien, dont mes parents ne me parlaient guère ou tout au moins comme d’un monde bourgeois différent du nôtre et vers lequel, chaque matin, pour gagner sa vie, mon père descendait. Je devinais des frontières que je n’avais, à cette époque, nulle envie de franchir.

Tranquillement je tournais le dos à Paris, j’allais sur la place du Tertre ou la place Jean-Baptiste Clément et m’y installais derrière quelque peintre. Ils étaient alors peu nombreux et d’allure romantique ; beaucoup peignaient devant le Moulin de la Galette. L’un d’eux, un jour, tout en raclant sa palette, me fit un cours d’histoire : le siège de la Butte en 1815, puis en 1871 la Commune et ses fusillades ; il me parla aussi du village de Montmartre où tournaient trois moulins. L’inaction me pesait vite. Je partais, dévalais des pentes, glissais encore sur des rampes. Il y avait des terrains vagues, des buttes de glaise ou de sable, des carrières abandonnées, des fondrières, des dépôts d’immondices, des ruelles louches comme le passage Saint-Vincent, un monde libre, surprenant, chaotique. Vers la Place Constantin-Pecqueur, c’était même « le maquis » : des baraques, des tonnelles, des jardins sauvages où vivaient des ouvriers et des biffins.

Ainsi, ce Montmartre me séduisait. Les rues y étaient mal tracées, mal pavées ; mais dans les ruisseaux l’eau faisait entendre un frais glou-glou ; contre de vieux murs poussait l’herbe ; et par une porte que j’ouvrais sans vergogne, je voyais un jardin calme, avec ses allées bordées de buis, ses arceaux, ses groseillers sur lesquels se penchaient les branches fleuries des acacias. J’oubliais les hommes ; il me semblait que Pans aussi les oubliait, sur cette butte on était perdu dans le ciel.