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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/55

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Pourtant, il fallait bien en descendre. Je suivais une rue bordée de boutiques de planches où l’on vendait des cartes postales en couleurs et des bondieuseries, j’arrivais sur une place où j’hésitais. Quelquefois j’étais assez riche pour prendre le funiculaire qui descendait la butte comme un gros animal accroupi et prudent. Ou bien je pénétrais dans le square Saint-Pierre. Un escalier bordé d’une rampe rustique tournait en spirale, aboutissait enfin à une sorte de grotte où tous les gosses poussaient à plaisir des hurlements.

J’arrivais place des Abbesses et c’était encore un peu la province ; je prenais la rue Lepic qu’encombraient les voitures des marchandes des quatre-saisons, et débarquais place Blanche, inquiet, comme à la frontière d’un nouveau pays. Il y avait un moulin, mais c’était le Moulin-Rouge ; une place, mais les voitures s’y poursuivaient. Les hommes, et surtout les femmes que je rencontrais, avaient une autre allure que dans mon quartier. Tous étaient vêtus comme les figures des catalogues que la concierge me donnait les jours où elle était de bonne humeur. Avec ma casquette, mon tablier lustré, mes galoches qui claquaient sur le trottoir, je me sentais mal à l’aise et il me semblait que des agents m’observaient. Je rasais les murs. Mais je ne perdais rien du spectacle du boulevard. Il était large, bruyant, il recevait la vie de toutes parts comme un grand fleuve l’eau de ses affluents, il coulait vers la place de Clichy, où tournaient les omnibus, les fiacres, des automobiles fumantes. Je passais devant l’Hippodrome. Lors de l’exposition de 1900 j’y avais assisté, paraît-il, à des courses de char. Maintenant, on y faisait du cinématographe, et moi qui fréquentais le jeudi un boui-boui de la rue Ordener où je voyais de mauvais films, je souhaitais, un dimanche, entrer avec mes parents dans cette salle immense.