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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/56

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Puis je traversais le pont Caulaincourt. Je regardais, les tombes monumentales du cimetière du Nord ; toujours je m’arrêtais au-dessus d’un homme de bronze dont le corps nu était recouvert d’un voile. Plus tard, j’appris que cette tombe était celle du général Cavaignac, que cette statue, était, l’œuvre de Rude. L’immobilité, la dureté calme de cette figure, retenaient longtemps mes yeux, comme l’image de la mort qui à cette époque obsédait mes nuits. Je me tenais au parapet, sans entendre les rumeurs de la vie. Enfin, je me détachais de ce spectacle, je retrouvais une rue sans éclat, comme un fleuve qui me ramenait au cœur de mon quartier.

J’y redevenais heureux. Je connaissais les moindres ruelles, des passages gluants et sombres comme l’impasse de la Grosse-Bouteille ; j’avais partout des amis et des ennemis avec lesquels je jouais ou me battais.

J’arrivais au boulevard Béliard, là où le chemin de fer de ceinture sort d’un tunnel, j’attendais qu’un train parût, je le bombardais à coups de pierres et je m’enfuyais. Ce point était un lieu de rendez-vous, d’où avec un rouquin qui nous commandait tous, nous partions en bande pour la campagne. Nous courions derrière le tramway Trinité-Lac d’Enghien, réussissions à monter au cul d’une « baladeuse », descendions un peu avant la mairie de Samt-Ouen, prenions la rue des Rosiers qui conduisait à la Seine. Au bord du fleuve, dans une île où s’élevaient une guinguette et la baraque du père Mahut — où il y avait eu un crime, autrefois — nous péchions des poissons minuscules, des têtards, que, nous jetions dans une boîte de fer-blanc et ramenions triomphalement à Paris, le soir venu.

Tout près de chez moi, place Jules-Joffrin ; se dressait la mairie, grande bâtisse ouvragée compliquée