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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/57

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comme ces édifices de saindoux que les charcutiers montent quelquefois dans leur vitrine. L’église Notre-Dame de Clignancourt lui faisait face, sèche et nue, avec son clocher qui se perdait dans un ciel fumeux, son jardin chétif que des grilles en fer de lance défendaient.

C’était là, vraiment, le cœur des quatre quartiers qui composaient L’arrondissement. On le sentait battre. Le samedi, se succédaient les mariages avec des landaus, de grandes voitures ouvertes et fleuries ; il en descendait des gens joyeux et endimanchés, une mariée toute blanche dans son voile et sa robe à traîne. D’autres jours – presque tous les jours – des corbillards, s’arrêtaient devant l’église dont l’entrée était tour à tour tendue de draperies ou nue comme la porte, d’un hospice ; des corbillards de pauvres, d’autres à panaches et à écussons argentés, stationnaient ; des couronnes et des bouquets fleurissaient les trottoirs ; des groupes noirs emplissaient la place et une vieille femme : allait de l’un à l’autre, courbée, sautillante. C’était « Poupoule », une clocharde qui vivait là, et, du matin au soir, dessinait à l’encre de chine des cartes postales qu’elle proposait au public des mariages comme à celui des enterrements.

La période des élections arrivait. Depuis plusieurs semaines de longues affiches multicolores barbouillaient les murs. Nous déchirions, en sortant de l’école, celles des candidats dont ne se réclamaient pas nos parents. Mon père allait voir Tonton presque tous les soirs à la permanence qui se tenait dans un café de la rue Letort. Il m’y emmena une fois et j’entendis prononcer les noms ; de Jaurès, Vaillant, Sembat ; au milieu d’un nuage de fumée on disputait à toutes les tables, et des coups de poing faisaient danser les soucoupes.