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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/59

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Avec la guerre, tout un monde fut englouti. Une dernière fois je me suis tourné vers lui, j’en ai remué les cendres. J’ai retrouvé quelques images du passé, qui se brouillent et s’effacent comme les photographies de mes grands-parents. Mais je ne me penche pas sur elles en pleurant, ni en rêvant. Je ne peux faire taire ma tendresse pour un pays presque disparu. À distance, la vie y semblait plus aisée qu’aujourd’hui, les souffrances moins continues, les haines moins violentes. Je me suis souvenu de mes promenades, de mes premiers amis, d’habitudes douces, et la phrase qu’a parfois ma mère me montait aux lèvres : « Comme dans ce temps-là tout était facile. » Eh bien, non ! Le poison était plus lent et engourdissait. Je ne regrette rien de ce passé si je lui ai donné un peu d’amour.

Aujourd’hui, les fortifications sont rasées. Longtemps, des hommes s’acharnèrent à détruire l’ouvrage d’autres hommes ; ils nivelèrent des talus, comblèrent des fossés, chargèrent des camions de déblais jusqu’au moment où le sol fut uni. Alors, ils tracèrent les fondations d’une nouvelle ville. Entre la poterne du Poteau et la porte de Clignancourt se dressent des maisons de briques, un immense quartier morne qui vient finir au bord de la zone et jette son ombre épaisse sur des arbres rabougris qui annonçaient jadis la naissance du printemps.

Le Marché-aux-Puces est voisin. On n’y trouve plus le désordre d’autrefois ni des étalages en plein vent. Les brocanteurs sont installés dans de solides baraques et des gens distingués et des antiquaires parisiens se penchent sur des vieilleries. L’avenue Michelet