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Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/62

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des « Eden ». On y va en casquette, comme à l’usine. J’entre aussi, sans jamais choisir la salle ni lire les affiches. Un manteau de chaleur enveloppe, un voile descend sur les yeux ; on respire des relents aigres, de mauvais parfums, l’odeur d’une foule qui chaque soir emplit le métro. Trois heures d’oubli peut-être, ou d’abrutissement. On fuit sa solitude, on se laisse emporter vers de lointains pays, on rêve d’une vie sans servitudes. Et à minuit, on se retrouve sur le pavé gras où les autos ne traquent plus personne, on suit des rues qui n’ont jamais semblé si noires, on voit des portes s’ouvrir sur des couloirs qui puent l’humidité et les ordures ménagères. La fatigue a succédé à la joie, les rêves sont morts. Quelque six heures d’oubli, et le réveil, la vie…

Ainsi, depuis mon enfance, en dépit d’apparences, rien n’a changé. Toujours l’entassement dans des chambres, des bruits dans l’escalier, des odeurs qui se glissent partout. Le froid en hiver, la chaleur en été. Un ciel brumeux, un ciel de pluie, un ciel de plomb. On ne connaît aucune évasion. Sauf celle du sommeil, mais il y a des logements où la vermine empêche de dormir, où le manque d’air fait suffoquer ; d’autres où ce sont des postes de « radio », les querelles des voisins, des cris d’enfant, qui assassinent les songes.

Voilà. L’époque est dure, violente, sans beauté. On ne contemple plus le ciel que cachent de hautes maisons ; on ne surprend plus, au fond du silence, l’appel léger du vent ; on ne trouve plus d’arbres qu’enserrés, étranglés par des grilles de fonte, mis en terre comme dans des pots, prisonniers dans des squares poussiéreux comme les musées. On regarde la campagne des affiches de chemin de fer, et un dimanche de printemps ou d’été, on part ; on attend, parqués dans les gares ; on marche en troupeaux dans