Aller au contenu

Page:Europe, revue mensuelle, No 105, 1931-09-15.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de faux villages ; et le soir, on rentre, portant des branches dont la sève saigne.

Des hommes comme je les ai vus enfant, comme je les retrouve homme à mon tour. Je ne les regarde plus avec un visage ingénu et curieux, ne marche plus derrière eux dans l’espoir de quelque aventure. Je connais leurs maladies, je partage leurs, haines et leurs peines. Et les soirs d’élection, nous nous réunissons sur la place Jules-Joffrin, entre une mairie et une église éternelles. Tonton n’est pas là, ne sera plus jamais là pour souffrir de nos défaites et se réjouir de nos vaines victoires ; mais ses fils…

Des hommes. Le soir, des bouches du métro, en rangs épais, je les vois sortir, monter vers la lumière d’un soleil vert qui sautille. Par des galeries souterraines ils ont parcouru leur ville, travaillé tout le long du jour, et la nuit les ramène, titubants, ivres de bruits, les cache et les pousse vers leurs quartiers. Ils se dispersent, suivent des rues où commencent à fermer les boutiques, disparaissent dans des couloirs aux murs poisseux, couloirs d’hôtels, de maisons ouvrières.

Les voici chez eux. Ce voyage que j’entreprenais enfant, lorsque ma mère me disait de monter l’escalier de notre immeuble, en pensée, je le recommence. Cent chambres dont je sais les richesses qui veulent cacher la défaite, les ambitions déçues ; cent salles à manger où je reconnais les meubles étriqués et le décor des galeries d’ameublement du boulevard Barbès ; et cent chambres où il n’y a rien que de pauvres choses usées par des habitudes, tachées par des gestes quotidiens, accablées par la vie. Au cœur de tout cela, des femmes et des hommes qui se retrouvent avec le soir, les lèvres pâles et sans sourire, le front vide de pensées, les mains lasses ; qui mangent, et, leur repas fini, liront un journal. Puis s’endormiront,