Page:Europe, revue mensuelle, No 189, 1938-09-15.djvu/82

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le temps de guerre, où en province, il allait le jeudi à l’hôpital du couvent Sainte-Madeleine voir les blessés fabriquer du macramé et tricoter des cache-nez, les sœurs courir, ces saintes filles qui n’avaient jamais été à pareille fête, où, le dimanche soir, lorsqu’il avait servi le Salut en faisant tinter les sonnettes devant les soldats qui somnolaient et songeaient qu’ils étaient aussi bien là qu’ailleurs, les convalescents lui donnaient des cigarettes qui le faisaient vomir ; en revenant dans un taxi où Pauline l’embrassait, il se disait qu’elle n’était acceptable que comme un souvenir d’enfance, le reflet des infirmières à voile bleu avec leurs seins si beaux sous les empiècements carrés et sous la médaille palpitante des épidémies.

Pauline se mit à parler des concours du Conservatoire et de l’exposition des envois de Rome ; elle n’avait jamais grand’chose à faire, elle ne manquait pas un concert, une exposition, une grande vente, elle allait un jour par semaine dans une consultation conseiller les jeunes mères sur l’allaitement des nouveaux-nés et les maladies du premier âge ; elle avait peu d’argent ; elle ne se mariait pas.

Laforgue affectait de ne jamais mettre les pieds dans une galerie de peinture, chez un marchand de tableaux, à l’Opéra, salle Pleyel : c’était assez leur genre ; comme ses amis, il criait avec orgueil sur les toits qu’il se moquait de la peinture, de la musique et du théâtre, et qu’il préférait les bistrots, les foires du Lion de Belfort, les cinémas de quartier et les kermesses de l’avenue des Gobelins. C’était une sorte de défi qu’ils lançaient aux gens à qui les beaux-arts servaient de mérite, de justification, d’alibi. Comme il connaissait assez bien l’Espagne et l’Italie, Philippe aurait pu parler tout de même de la peinture, mais Pauline ne venait pas rue d’Ulm pour causer sérieusement de tableaux ou de musique et Laforgue jugeait qu’il n’y avait pas lieu de se donner la peine d’être poli. Il s’assit près de Pauline sur le divan et elle lui dit qu’il n’était pas bavard.

— Excusez-moi, Pauline, dit-il. Dieu sait pourtant qu’il s’en passe ! 30 degrés à l’ombre à Perpignan, un anticyclone de derrière les Sargasses marche sur les Açores. Le financier Loewenstein s’est noyé dans la Manche et la Bourse d’Ams-