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Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/63

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passa seul un samedi après midi sur une telle grande route.

Ceux qui font des découvertes, ceux dont on dit en repassant l’histoire de leur existence qu’ils n’étaient pas nés pour rien, trouvez-les parmi les hommes prudents, les sédentaires, qui savent rester éveillés patiemment, qui demeurent longtemps quelque part et chassent avec précaution : le vrai s’abat dans un affût, ce n’est pas une carte qu’on retourne un soir dans un jeu de hasard où tout coup peut être gagnant. Si vous voulez vivre il faudra retrouver la persévérance. Vous voulez vivre et vous filez comme des morceaux d’astres dans votre nuit. Il faudra une attention de vos jours et de vos nuits : pendant que vous dormez, tous les êtres peuvent mourir.

Les voyageurs sont condamnés à ne voir des maisons où vieillissent les hommes sédentaires que des murs de toutes les couleurs, avec des curiosités simplement architecturales. Je fus ce voyageur : circuler sur de petits vapeurs écaillés, sur des dhows indigènes de l’un à l’autre bord de ce profond canal des enfers, rebondir sur les remparts de l’Afrique et de l’Arabie, ces mouvements du désordre n’imitent pas longtemps les allures de la liberté. On sent une espèce de boule de métal qui tourne à l’intérieur de la vie : elle heurte les organes, plus on remue, plus elle les blesse.

Les fenêtres sont fermées devant les voyageurs parce qu’ils se croient obligés de conseiller le départ et le voyage partout où ils vont : tout le monde sait naturellement qu’ils sont les ennemis de ceux qui savent séjourner longtemps dans une même chambre, les êtres sont fermés comme des globes étanches. Ils continuent à avancer en attendant le bonheur de la bienveillance du hasard comme si ce mélange de causes embrouillées était un dieu qui distribue des récompenses : mais un homme entêté, chez qui l’at-