Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/80

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de ceux qui l’avaient connu une espèce de guirlande glaciale qui entourait les souvenirs qu’on avait de lui. Le passé dont il tirait une excessive fierté se réduisait au nombre de lakhs de roupies dont pouvait le créditer la National Bank of India.

Croyant agir et préméditer ses actes à son gré il faisait après tout le jeu de forces qui ne tiraient pas de lui leur puissance, et dont les sources, s’il avait perdu le temps de les chercher, auraient pu lui paraître mystérieuses et chargées d’une signification finalement révoltante.

Manier des taux de devises, se pencher sur la valeur du thaler et de la livre comme sur la courbe de température d’un enfant malade, hâter la marche d’un navire pour s’assurer d’un fret, ces songes creux composaient l’idée qu’il se faisait de l’action, les jours où il n’avait pas besoin de séduire autrui.

Il pensait à sa liberté, il parlait d’elle, comme s’il avait été dupe des sentiments qu’il avait inspirés à plus petit que lui : l’envie, le respect de ceux qui lui disaient sincèrement qu’il était libre. Mais la méduse se croit libre, les banquiers, les marchands se croient libres : ils ont aussi cette folie-là, ils ne valent pas mieux que les vagabonds. Assis derrière leurs tables, ornées d’un code Bentley, d’un Broomhall, — leurs employés sont debout de l’autre côté de la table — ils font les malins, ils dictent, ils réfléchissent : oubliant que les dictées et les malices sont montées de loin par dix télégrammes chiffrés, par des lettres qui ont fait du chemin pour les atteindre. Ils n’y comprennent rien.

B… était donc le porte-voix d’ondes innombrables qui ne trouvaient en lui que de prévisibles échos. Il ne faut pas confondre un homme libre avec un baromètre enregistreur, une machine de Morin et un phonographe. Que de maux peut causer cette confu-