Page:Europe (revue mensuelle), n° 125, 05-1935.djvu/118

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Vide.. Vide… Néant de l’existence.

Mais non ! Poutsi ! Ah, cette Loutchia, qui disait mépriser les Poutsi ! Les femmes sont toutes les mêmes, va !… Oui, elles sont les mêmes et pourtant le poignard est là, dans son cœur. Il va toujours plus profond : Loutchia couche avec Poutsi ! Mais c’est intolérable ! Comment va-t-il oublier cela ? Juste en ce moment où il est seul. Sans Mikhaïl. Et Macovei, mort. Et le « Bureau », mort. Et les plapamari, froids, silencieux, presque hostiles

« Dieu, où est mon humanité ? »

La neige battue, haute de trois empans, avait nivelé les trottoirs. On ne savait plus si l’on était sur son chemin et dans son droit, ou bien à côté. Traîneaux et piétons allaient en zigzag, pêle-mêle. On s’engueulait. Cette désorientation et celle de sa tête causèrent à Adrien des ennuis à chaque pas ; il se fit bousculer par tout le monde, faillit être renversé.

Il marchait sans savoir où. L’image de Mikhaïl et celle de Loutchia, avec leurs domiciles opposés l’un à l’autre, lui firent prendre une direction contraire à tous deux. Car il n’avait l’intention d’aller voir aucun de ces êtres aimés, malgré leur image qui l’obsédait.

Non, il n’irait pas les voir ! Pour Loutchia, c’eût été humiliant pour lui et cela n’eût servi à rien : elle couchait avec Poutsi. Il ne la voulait plus. Et pour Mikhaïl… Eh bien, Mikhaïl se montrait têtu. Pourquoi n’avait-il plus donné signe de vie ? Certes il l’avait vexé lui disant qu’il ne lui demanderait pas « à manger », vilaine parole qu’on ne jette pas à la figure d’un grand frère comme Mikhaïl. Mais était-ce une raison pour qu’il le boude à l’infini ? Qu’il lui garde une telle rancune ? Se doutait-il de ce qui se passait maintenant dans son cœur ? Du désespoir dont lui, Adrien, était la proie en ce moment ? Et qui pourrait le pousser au suicide !

« Oui : je suis capable de me tuer ! Tout est Néant ! »

Il se trouva soudain devant la vitrine du libraire Socec. Grand étalage de livres nouvellement parus, notamment une belle édition des poésies d’Éminesco et les Revenants d’Ibsen. Il les contempla presque froidement :

« Vous aussi n’êtes qu’illusion ! Votre beauté ? Cela dépend de notre cœur. Tout dépend de notre cœur. Si nous sommes