Page:Europe (revue mensuelle), n° 125, 05-1935.djvu/95

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de figurantes pour je ne sais quelle sorte de spectacle à Paris. Il l’a dit en français à ses amis les députés, qu’il tutoyait. Et il appelle notre ministre de l’Intérieur par son diminutif, Silica. Enfin, j’ai compris qu’il est retraité, ancien inspecteur de la Sûreté Générale. Que voulez-vous de plus ? Il est de la haute pègre !

En effet, tous les soupçons tombèrent. Et une course folle s’engagea entre les agents de tous les bureaux ainsi qu’entre les belles servantes. C’était à qui arriverait le plus vite, avec son offre et son espoir, devant ce fameux paralytique, dont le nom était Racaceanu. Toutes les affaires courantes furent rejetées au second plan. Au diable les placements à cinq francs. On sut bientôt que, pour une femme vraiment à son goût, Racaceanu payait non pas trente francs, mais le double et le triple. Et il ne s’embarrassait pas de la condicoutsa, ce vil carnet policier que la loi imposait à tous les domestiques pour mieux les asservir. Puis, quelles conditions pour l’engagée ! Une avance de trois cents francs. Garde-robe battant neuf. Passeport. Voyage payé. Et, là-bas

Eh bien, là-bas, c’était le paradis de la femme veinarde : cinq cents francs par mois, féerie, banquets, etc. Et le reste qui attend toute femme belle et, naturellement, complaisante. C’est son affaire !

Un mois et demi durant, place Saint-Georges, où les bureaux de placement pullulaient, on n’entendit que le nom d’un homme : Racaceanu, et celui de l’endroit où il habitait : rue de l’Ombre. Sous les beaux arbres du jardin qui porte également le nom de Saint-Georges et où l’on ne voyait jusque-là que des serviteurs bavards ou tristes, on vit toute une floraison de grosses cocottes, horriblement fardées et fanfreluchées, qui accostaient les agents des bureaux, avec la voix enrouée et les manières de la rue Croix-de-Pierre :

— Chéri ! Ne crois-tu pas que je ferais l’affaire de Racaceanu ? Essayons ! Cent francs pour toi si ça colle !

Et quand on apercevait un des employés vêtu d’un beau complet acheté Au pou d’or (ou chez le « Père Lazare »), comme Nitza, qui passait rayonnant place Saint-Georges, on disait avec envie :

— En voilà un qui a fait son coup rue de l’Ombre !