Page:Europe (revue mensuelle), n° 125, 05-1935.djvu/96

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Adrien et Mikhaïl furent eux aussi de la superbe aventure. Ils « travaillèrent » ensemble. Par amitié, par nécessité pratique et aussi, le cas échéant, par esprit de solidarité dans le malheur. Car Mikhaïl ne partageait pas la crédulité générale quant à la rectitude morale du monsieur décoré de la Vaillance et Fidélité qui déjeunait chez lui en compagnie de députés et appelait des ministres par leur diminutif :

— Il est plus que certain, ainsi que Cristin le disait, que nous nous trouvons en présence d’un proxénète. Mais le type est soutenu d’en haut. Et puisque tant de monde trempe dans l’affaire, disons-nous aussi qu’elle est propre, d’autant plus que c’est nous deux que Racaceanu préfère.

Racaceanu les préférait parce qu’ils s’étaient montrés, dès le début, expéditifs, intelligents. Ils ne l’embêtaient pas avec toutes sortes de femmes impossibles, à l’exemple de tous les autres agents. Ils avaient le mérite de lui avoir fourni, coup sur coup, trois « superbes juments » ainsi qu’il les nommait. Et Mikhaïl fut le seul agent qui lui parla français, ce qui flatta la fripouille.

Un costaud à la physionomie ordinaire. Moustaches à la Guillaume. Raie grisonnante au milieu de la tête. Regard effronté. Élégamment vêtu et tout couvert de bijoux chers : nombreuses bagues ; épingle à grosse perle à la cravate ; grosse chaîne d’or, traversant toute la largeur de sa poitrine.

Il recevait assis dans un voltaire. Près de lui, on voyait en permanence une femme qui était le modèle de ce qu’il demandait. Elle ne parlait jamais. C’est lui seul qui pérorait, jovial et ferme :

— Monsieur ! disait-il à Mikhaïl, en français. craignez pas rien ! Jé vai-t’en foutre moi à ceux qui soupçonnent de loucheté ! C’est parce qu’ils bavont d’envie ! Moi jé souis un homme honnête et qui connais les affaires, voilà !

Et, un jour, se lançant dans une histoire de Côte d’Azur, il dit, à un moment donné :

— J’ai pris le Pé-Lé-Mé et vrrr ! à Nice !

Il avait prononcé en roumain les lettres du « P. L. M. ». Depuis, Mikhaïl ne l’appelait plus que Pélémé, mot qui approche, dans la langue roumaine, de l’expression « ma peau ».

Et Pélémé par-ci, Pélémé par-là, jusque vers la mi-octobre