Page:Europe (revue mensuelle), n° 143, 11-1934.djvu/71

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Je continue à conter mes souvenirs. Ils viennent au hasard, sans grande suite ni apprêt. Si, quelque jour, j’ai le désir d’écrire mieux qu’un essai, je ne me verrai pas pressé par le manque de temps, ou de place. Je me mets en présence de ces vingt années, les retourne, les interroge. Les ai-je gaspillées ? bien employées ? en ai-je tiré des enseignements ? enfin faut-il parler de fiasco ? Je réponds non. J’ai fait le travail que je me devais à moi-même, aux autres hommes — ce travail que tant de jeunes n’ont pas eu les moyens d’entreprendre. S’il y a fiasco aujourd’hui c’est l’œuvre de quelques groupements, de personnages politiques, leur honte, leur crime. Séparons-nous d’eux comme de la canaille.

De 1920 à 1928 — si on n’y regardait pas de trop près, si on ne remâchait pas ses souvenirs — on put croire à la paix. Les jeunes construisaient leur vie, se mariaient, réussissaient parfois à étouffer leurs doutes ; les vieux replâtraient leur bonheur ou mouraient ; ceux qui ont vingt ans aujourd’hui étaient des gosses, bref, ça allait ! On se donnait du bon temps avant de se remettre sérieusement à l’ouvrage… Car beaucoup d’hommes pensaient que le gros travail restait sur le chantier. Mes occupations de peintre m’absorbaient, je ne suivais que très mal les tentatives de certains groupements politiques et de quelques milieux intellectuels. Là, cependant, on cherchait à voir clair, on disait sa méfiance, ses haines, ses espoirs. Il m’est arrivé de retrouver dernièrement sur les quais certaines revues jaunies, d’en sentir brûler encore la flamme. Je ne parlerai pas de fiasco, on sait où se cachent les croque-morts et ceux que gêne la lumière. Cette période de projets pour les uns, de plaisirs pour les autres, ne devait point durer. Il eût fallu du temps pour que prennent corps certaines espérances. Autant par avidité que par ignorance, nos anciens maîtres recommencèrent à manœuvrer, l’atmosphère se troubla.