Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/67

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autour d’elle, et peu à peu le fantôme de l’image de Madeleine s’effaça de ses yeux.

Le but que cherchait Firmin était atteint ; du moins le croyait-il, l’espérait-il.

Le lendemain, madame de Mortagne songea à se mettre en route pour se rendre au Macoubac, sur une de ses habitations.

Firmin accompagna madame de Mortagne à cheval, jusqu’au bas de la Calebasse, et à la limite d’une habitation où elle devait rencontrer l’attelage de nègres envoyés à sa rencontre pour la porter en hamac jusqu’au Macoubac.

— Allons, murmura Firmin en pressant les flancs de son cheval, regagnons mon habitation. Ah ! c’est étrange, ajouta-t-il, comme le recto et le verso de chaque feuillet du livre de la vie se contredisent ! Et le mot interrompu au bas de la page ne se continue même pas quand on la tourne. On croit avoir perdu le sens de la phrase, on le retrouve à deux cents lignes plus loin, au moment où l’on n’y songeait plus ! Qui m’eût dit, il y a six mois à peine, qu’un matin je serais resté froid et indifférent devant un billet de madame de Mortagne ? que, me mettant en route pour la rejoindre cependant, je devrais l’oublier complétement dans un amour découvert, au sortir d’un naufrage, dans la case d’un mulâtre, et que, la recherchant enfin pour guérir cet amour devenu dangereux, je trouverais en effet à ses pieds et dans son regard l’oubli de celle-là même qui me l’avait fait oublier ? Ma foi ! si toutes les organisations ressemblent à la mienne ; si, pour tout le monde, les événements de la vie se déroulent comme les miens s’accomplissent, je plains les philosophes qui se donnent tant de mal à démêler ce chaos.

Lancé sur cette pente, l’esprit du jeune créole ne s’arrêta plus. Je me garderai bien de vous entraîner avec lui dans toutes les divagations philosophiques auxquelles il