Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/68

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se laissa aller. Heureusement le cheval de Firmin avait meilleures jambes que son maître n’avait bonne tête ; grâce à la sûreté du terrain sur lequel il galoppait, les panaches onduleux des cannes à sucre de l’habitation de la Caravelle se découpèrent finement à l’horizon, au sommet d’un petit morne qu’il fallait gravir.

Firmin mit son cheval au petit pas pour escalader ce morne. Pour clore le chapitre de ses divagations philosophiques, il ne put se défendre de comparer cette rude montée au chemin qui conduit au bon sens et à la raison, logés si haut que, par paresse, on passe sa vie à remettre au lendemain d’aller les visiter et leur demander conseil.

— C’est ce qui fait, ajouta-t-il en manière d’épilogue, que l’on quitte son toit en sifflant des fanfares de chasse, et que l’on y rentre le cœur inquiet, troublé, en deuil des plaisirs goûtés et qui ont dû finir, et des désirs qui ont altéré les lèvres sans qu’il leur fût permis de s’en approcher.

Ces réflexions vinrent à Firmin au moment où il rentra dans son logis, glacé par une semaine d’absence, et qui lui parut désert, plein d’échos sinistres comme en a un sépulcre. Cette solitude, à laquelle il n’était plus accoutumé, lui fit peur ; il se hâta d’aller se joindre à quelques voisins, qui se réunissaient tous les soirs pour risquer au passe-dix ou à la marseillaise (jeu fort en honneur aux colonies) leurs fortunes entières.

— D’où viens-tu ? lui cria, en lui sautant au cou, un sien cousin, un enfant de seize ans que les émotions du jeu avaient pris au berceau pour ainsi dire, comme elles y prennent trop souvent les jeunes créoles.

— Je reviens de l’enfer ! répondit Firmin avec un accent sérieux, et en jetant dix doublons sur une carte.

— Est-il vrai que le diable ait des griffes et des cornes ? demanda l’enfant en souriant malicieusement.

— Non, répliqua de Lansac, en risquant vingt dou-