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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

nous dépeint, avec une jolie observation des nuances amoureuses, le début de leur première entrevue : « Comme d’amour ils sont épris, elle n’ose s’adresser à lui, et il doute s’il doit lui parler… » Elle nous fait ici prévoir une autre exquise et subtile conteuse française, beaucoup plus moderne, l’incomparable Mme  de La Fayette, dont l’art discerne toutes les nuances qui revêtent une aube de passion.

Éliduc obtient du roi la main de sa bien-aimée. Le chevalier s’embarque avec elle pour retourner en son pays. Alors s’élève une tempête. L’équipage invoque tous les saints de la Bretagne. Mais un matelot dénonce le crime qui se commet : Éliduc était déjà marié, et c’est la présence de Guilliardon qui courrouce le Ciel ; ces rudes hommes du moyen âge s’occupent peu de savoir si Guilliardon est innocente ou coupable, dupe ou complice. Ils n’y regardent pas de si près : elle est de trop à bord : il faut la jeter à la mer. Et elle eût péri sans l’intervention de son amant. Elle s’évanouit et tombe inanimée comme une morte. Éliduc la dépose dans un ermitage, et, pleurant sa princesse, va tristement rejoindre sa vraie femme Guildelec. Cette Guildelec nous représente une délicieuse et lumineuse figure, grave et douce comme une sainte de vitrail. Elle possède l’intuition de celles qui aiment, et elle sait bien vite que son amour ne trouve plus d’écho dans l’âme de son seigneur. Mais aucun reproche, aucune plainte n’arrive jusqu’à ses lèvres. Elle découvre l’ermitage où dort sa rivale et devine le secret de son mari. Elle ne triomphe pas de ce qu’une âme moins haute envisagerait comme le châtiment dû à la trahison, mais elle pleure sur les belles mains de la jeune morte et sur la tendresse perdue de son ami. Marie de France, avec