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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

elle, lors de son mariage, et se serait retirée en Avalon. « En Avalon, en faerie », dit le poète Couldrette. Plus tard, Mélusine indignée contre son père entraîne ses sœurs à venger leur mère, et Pressine, au lieu de goûter cette vengeance, châtie Mélusine. Tous les samedis, cette pauvre Mélusine sera transformée en une sorte de monstre demi-femme demi-serpent. Jamais son mari ne devra l’apercevoir sous cet aspect ; et, s’il n’enfreint pas cette défense, Mélusine, au lieu de subir la triste immortalité des fées, regagnera le bonheur qu’elle a perdu par sa faute, de vivre et de mourir comme une femme naturelle.

Je me plais à voir beaucoup de mélancolie sous ce discours de la fée Pressine. Étrange discours en effet ! Toute la philosophie des légendes de fées me paraît tenir dans ces quelques mots. Le moyen âge estimait-il que la mort ouvre à l’homme les portes de la seule immortalité désirable, c’est-à-dire l’immortalité bienheureuse ? Sans doute, c’est là sa pensée la plus claire et la plus profonde ; et peut-être songeait-il, aussi, qu’il y a plus de douceur dans la règle générale que dans une destinée d’exception. N’est-il pas juste que le bonheur soit plutôt dans les voies communes ? Le bonheur, et la sagesse aussi. Pour qu’un rayon de joie luise sur le château, il faut qu’on y pratique les vertus de la chaumière. Votre homme de génie ne sera supportable à lui-même et aux autres que s’il accepte une bonne partie de la discipline universelle. Morgane et Viviane n’ont cherché qu’à se débarrasser de cette discipline. Mélusine aspire à la reprendre. Mélusine est plus intelligente que Morgane et que Viviane. Tendre au but après s’être égarée, c’est la supériorité de la fée poitevine sur les fées bretonnes. Le paradoxe a