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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

sa voix. Je n’ai jamais vu marcher de déesse ; ma maîtresse, quand elle marche, pèse sur le sol. Et cependant je crois mon amour aussi rare que tout ce qu’elle trahit par de fausses comparaisons. » Ou bien : « En réalité, je ne t’aime pas avec mes yeux, car ils remarquent en toi un millier de défauts, mais c’est mon cœur qui aime ce qu’ils méprisent… Ni mon esprit ni mes cinq sens ne peuvent dissuader un cœur insensé de te servir, esclave et misérable vassal de ton cœur orgueilleux, et c’est mon fléau chaque fois que je compte mon gain, que celle qui me fait pécher me dispense la douleur. »

Et l’on ne s’étonne pas que celui qui put écrire ces sonnets délicieux, amoureux et cruels, soit le chantre des amours de Titania. La petite reine des fées ne trouve point de roses assez vives et assez tendres pour enguirlander la tête d’âne stupide et vaniteuse. Elle choisit les plus douces qu’elle peut recueillir : « Elle a, dit Obéron, entouré les tempes poilues d’une couronne de fleurs fraîches et odorantes, et cette même rosée qui, parfois, sur les bourgeons se gonfle en perles rondes au pur orient, demeure maintenant dans les yeux des fleurs comme des larmes honteuses de leur propre disgrâce. » Shakespeare a sans doute observé, dans le cœur humain, de tels superflus de tendresse, et, dans les yeux humains, de ces larmes honteuses de leur propre disgrâce. Quelles que soient les traditions auxquelles il a puisé, rien ne paraît plus individuel que la féerie shakespearienne.