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LES FÉES DE LA FRANCE CLASSIQUE

des herbes. La peau d’âne, comme la brume, déguise la splendeur de l’aurore. Les sauveurs de Mme Barbe-Bleue sont les deux crépuscules, les Açwins védiques. Les aurores se multiplient, il y en a de tous les âges. La grand’mère du petit Chaperon rouge est une vieille aurore. Les femmes mortes de Barbe-Bleue sont aussi de vieilles aurores. On dirait que nos ancêtres n’ont jamais eu d’autre sentiment que l’émoi du jour nouveau. Le loup figurerait bien pour nous la nuit dévorant la tiare de rubis que le soleil met au front des montagnes, mais il représente, paraît-il, en réalité, le soleil, le soleil meurtrier, le grand soleil dévorant des pays brûlés et desséchés. Il avale, d’une bouchée, la douce aurore. Vraiment Perrault s’en doutait-il ? Le soleil modéré de notre France, qu’il connaissait bien, n’avait jamais pris à ses yeux ces allures de loup dévorant. Venu de si loin qu’on le suppose, ce conte était populaire dans la vieille Île de France peuplée de loups qui n’avaient rien de commun avec le soleil de l’Inde, mais qui étaient bel et bien les frères de ceux que chante Villon. Aussi le conte du Chaperon rouge fut-il très répandu dans la campagne de Paris. Il y avait aussi des loups-garous, et ce personnage mal famé du moyen âge, maître Guillou, en qui se fondaient les deux types du diable et du loup.

Le loup soleil des pays lointains s’est combiné avec ces loups imaginaires ou réels de la vieille France. Et, pour les petits, il s’est mis à symboliser tous les dangers de l’ombre et de l’inconnu, la terreur vague qui hante déjà leur sensibilité.

Perrault ne nous montre pas qu’il se soit souvenu du lointain Orient ; pour faire évoluer le petit Chaperon rouge, il lui plaît d’esquisser un bout de paysage