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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

voquée par trois jeunes filles, qui, par défi, chantaient imprudemment autour des eaux : « Prends la plus belle d’entre nous ! » apparaît et saisit en effet la plus belle des trois compagnes. Une troisième en Corse subit une destinée analogue à celle de Pressine, mère de Mélusine : son mari ne devait pas la voir manger ; il déroge au pacte et tout de suite elle s’éloigne avec ses trois filles.

Les eaux ont leurs fées, mais les forêts elles-mêmes semblent des fées ; car de certains objets on dit qu’ils sont fées, c’est-à-dire enchantés, comme la petite clef de Barbe-Bleue, où le sang est aussi ineffaçable que la tache qui demeure aux mains pâles de Lady Macbeth ; et la même épithète s’étend à des lieux comme la forêt des Ardennes, dont Partenopeus de Blois déclare : « Elle était hideuse et faée. » Cela se comprend, certes, que les forêts soient fées, avec toute l’intensité de mystère qui plane sur elles et tout l’imprévu de leurs jeux d’ombre et de lumière ; on y est enveloppé d’une vie puissante et secrète, à laquelle rien d’humain ne se compare ; et pourtant cette vie, elle se dresse dans les troncs des arbres, s’épanouit dans les feuillages, pullule sous nos pas en myriades de petites herbes odorantes, s’ingénie aux structures délicates des mousses et des fougères ; elle est immense, elle est diverse, elle est innombrable ; elle est magnifique, elle est humble ; elle s’élance si haut au-dessus de nos fronts que nos regards font effort pour la suivre ; elle rampe si bas sous nos pieds que notre marche la froisse et l’écrase sans que nous en ayons conscience. Les arbres, avec leur parure, ont je ne sais quel air de colonnes voilées ; l’inconnu nous guette peut-être derrière chacun d’eux ; à la moindre échancrure, il se révèle