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PROLOGUE

dans un nouvel aspect de la lumière ou de la pénombre ; le soleil, l’azur, les nuages, les branches, les feuilles, les multiples degrés du lointain, à demi cachés, à demi dévoilés par instant, mais plus souvent cachés que dévoilés, et peuplés, on le sent, de créatures sauvages et mystérieuses, effleurés de courses légères, hantés de bondissements silencieux, troublés de vols invisibles, composent à la forêt une atmosphère unique pour la floraison de nos plus fantastiques rêveries. Toute forêt est un peu Bréchéliant, où se plaisaient les fées du moyen âge. On n’est pas surpris que l’imagination médiévale ait aimé à en faire le refuge d’une Morgane au cœur tragique et désabusé. En cédant à ce penchant, n’a-t-on pas subi l’influence des vies inconnues, animales et végétales, qui rendent si poignant le mystère de la forêt, vie des vieux chênes de la Gaule ou des agiles écureuils, des hêtres blessés par l’automne ou des biches atteintes par le trait du chasseur ? Ces existences animales et végétales nous sont plus étrangères, en réalité, que toutes les fées des légendes. On se sert des fées pour personnifier, pour rapprocher de nous, pour humaniser, en quelque sorte, cette vie que notre esprit ne conçoit pas et dont il subit le vertige. Les Grecs, avec leurs nymphes, leurs faunes, leurs sylvains, leurs dryades, leurs hamadryades, obéissaient à une semblable impulsion. Lafcadio Hearn nous a donné des contes japonais, délicats, ingénieux et charmants, où nous voyons de belles jeunes filles, droites et pâles, incarner l’âme des saules. C’est que l’âme humaine se crée partout des miroirs. Les Dames du Lac sont parentes des ondines et des nixes, L’Écosse a ses lutins, l’Irlande ses brownies, l’Allemagne ses elfes ; ce sont