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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

comme de tendre porcelaine, qui se joue dans les récits de Mme d’Aulnoy. On y trouve des bergers, des bergères, des marquis, des marquises, minaudants et parés, qui expriment une pantomime amoureuse sous la vitrine, dans les salons. Personne ne prend au sérieux leurs sourires ou leurs larmes, mais ils amusent quand même l’œil qui les examine. Sans doute il ne faut point les regarder de trop près ou les manier trop brusquement, un courant d’air les renverse, la flamme d’une lampe les ferait éclater, mais dans la pénombre d’un demi-rêve, d’un peu loin, ils imitent gentiment les attitudes de la vie. Il n’en faut pas demander plus aux personnages de Mme d’Aulnoy. Au fond de tout cela il y a sans doute un scepticisme incurable. Dans la féerie vénitienne de Gozzi, les coupables se repentent quelquefois ; chez Mme d’Aulnoy, ils meurent à peu près de rage. Et, peut-être, avait-elle rapporté de ses démêlés avec la justice humaine cette irrévérence qu’elle exprime dans le conte du Chevalier Fortuné : « Le roi ne pouvant plus éviter de lui donner des juges, nomma ceux qu’il crut les plus doux et les plus susceptibles de tendresse, afin qu’ils fussent plus disposés à tolérer cette faute ; mais il se trompa dans ses conjectures ; les juges voulurent rétablir leur réputation aux dépens de ce pauvre malheureux, et, comme c’était une affaire de grand éclat, ils s’armèrent de la dernière rigueur… » Voyez-vous cette conteuse souriante qui s’amuse à donner, d’un coup d’éventail, une chiquenaude à la justice… Ces petites lignes jetées là comme par inadvertance soulèvent toute une série de problèmes philosophiques. Déjà vous vous rappelez la scène du jugement dans Résurrection de Tolstoï. Mme d’Aulnoy dit ces