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LA FÉERIE ALLEMANDE : LES GRIMM

vivent les roses… ou les carottes ; le gnome déclare qu’il ne peut rien contre « les lois irrévocables de la nature ». En vain donne-t-il à Emma d’autres carottes, avec la faculté de nouvelles métamorphoses, et tout un champ de carottes à cultiver : la princesse s’ennuie, s’ennuie à mourir au milieu de ces contrefaçons.

Cela nous donne pour Emma quelque sympathie. Les êtres humains, de nos jours, ont peut-être moins de répugnance pour le factice et le convenu. Tout s’imite : les fleurs, les oiseaux, les diamants, les perles. L’industrie humaine réussira, sans doute, à fabriquer des perles de tout point analogues à celles que le plongeur s’en va chercher sous l’océan. Tout s’imite : la culture d’esprit, la bonté d’âme, l’amour désintéressé du beau.

Quel avantage sur les fausses perles restera-t-il aux vraies perles ? Celles-là garderont jalousement pour elles seules l’indiscernable secret des profondeurs marines… Quel avantage sur la fausse culture, la fausse bonté, l’amour intéressé du beau, remporteront les nobles réalités dont ces imitations forment l’image ?… Également un secret indicible et profond. Aussi nous savons gré aux carottes de Rübezahl de ne pas vivre plus longtemps que des carottes ordinaires. Ces métamorphoses opérées par Emma grâce à la baguette magique des fées, que le gnome a remise entre ses mains, nous transportent au milieu du monde féerique, mais je ne sais si le vieux conteur a voulu nous prouver que la ruse des femmes est supérieure à celle des gnomes : c’est l’ingénieux esprit d’Emma qui conduit cette baguette : profitant du don des métamorphoses, elle échappe à l’empire du gnome, franchit les limites du pays soumis à cette