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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

phique à ce récit ? Il est trop vague et trop mystérieux pour que nous aimions à l’en croire dénué, et, telle que je l’entrevois, elle paraît ressembler à celle que je crois deviner dans l’étrange Hélène d’Euripide. C’est une fausse Hélène, un simulacre de la Tyndaride, qui court les aventures scandaleuses d’où naîtra la guerre de Troie, et, pendant qu’elle remplit le monde d’alors, le lumineux petit monde méditerranéen, du bruit de ses coupables et funestes aventures, la véritable Hélène demeure cachée en Égypte. Est-ce à dire que l’être factice qui court le monde sous notre nom dans les pensées et les causeries des hommes n’a rien à voir avec l’être véritable que nous sommes, et dont nous vivons la vie secrète ? « Qu’importe la célébrité d’un nom ? disait Newman. Ce n’est jamais nous qui sommes célèbres, c’est notre nom. » Quel rapport a ce nom avec le vrai moi dans lequel nous nous reconnaissons nous-mêmes ! Ce nom est quelque chose comme notre image, notre ombre. Il se mêle loin de nous à des suppositions, à des commentaires que nous sommes bien loin de soupçonner, étrangers à notre vie réelle, à notre être authentique. Et l’ombre du savant, chez Andersen, se sépare totalement de son maître. Ils se retrouvent. L’ombre a acquis de la fortune et de la notoriété. Son maître est pauvre et méconnu. L’ombre fait un pacte avec le savant. C’est elle qui passera pour réelle ; et lui, il jouera le rôle de l’ombre. Ah ! ce pacte, combien d’hommes le font ! Ils donnent toute la réalité de leur vie à ce qui n’est que leur ombre ! Et leur vrai moi languit, se morfond dans le secret. L’être est négligé pour le paraître. La vie factice que nous vivons chez les autres, et dans l’esprit des autres, est l’objet de tous nos soins, de tout notre effort.