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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

jardo, de l’Alcine de l’Arioste. Elle doit mettre à mort les prétendants qui ne savent deviner l’objet de sa pensée. Elle est, pour cela, d’accord avec un magicien cruel, qu’elle va rejoindre la nuit après s’être enveloppée d’un manteau blanc à grandes ailes noires. Comme le sphinx d’Œdipe, elle sera vaincue ; mais l’amour la délivrera du charme magique qui faisait la cruauté de son âme. La petite sirène a quelque chose du cœur de Mélusine : elle veut aimer et devenir mortelle.

Morgane est nommée une ou deux fois par Andersen : son palais fantastique se dresse parmi les nuages dans le conte des Cygnes sauvages. Sont-ce des réminiscences fortuites ? Ou bien l’humanité ne s’est-elle réellement intéressée qu’à deux ou trois grandes aventures humaines qui ont couru le monde, sous des masques étrangers, et en revêtant tour à tour les costumes de chaque pays ?

Étrange et décevant conteur ! Il pleurait quand nous croyions le voir sourire ; il souriait quand nous nous attendions à le voir pleurer. Sa naïveté nous avait ravis, et voilà qu’il laisse échapper une parole plus amère que tous les propos des philosophes pessimistes. Qui sait où nous mène toute sa douceur ? Il rêve de la Chine lointaine, des bords du Gange, de la cité fantastique de Morgane édifiée par les nuages. Il chante les villes mortes, Pompéï et Venise, ou plutôt le fantôme de Venise, à l’heure où la fantasmagorie de la lumière a disparu, où la réalité se montre humide, délabrée, penchante, pareille au royaume du silence et de l’abandon. À l’âge où nous lisons Andersen, nous sommes trop jeunes pour l’analyser, et, plus tard, nous aimons trop souvent Andersen sans le relire, de sorte que