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LA FÉERIE DANS UN CERVEAU DU NORD : ANDERSEN

personne ne songe guère à cette Venise d’Andersen, à cette vision d’homme du Nord. Or il reste toujours un peu de soleil dans une âme méridionale pour regarder les choses du dehors, mais Andersen, laissant toute la tristesse du Nord s’amasser dans son âme, la verse sur le délabrement et la ruine de Venise. Là-bas dans son pays natal, le reflet du poêle, le luisant des cuivres, mettent une joie intime au cœur de la brume glacée. Son art ressemble à une chambre close dont la fenêtre ouvre sur l’infini. La mer grise s’étend à perte de vue, et les grands navires passent, les voiles gonflées des souffles du large. Les nuages construisent une ville d’or pour les fées. À l’intérieur de la chambre, les livres de la sagesse humaine attendent le souffle d’une âme pour résonner comme des cordes de harpe ; Andersen les touche pieusement, mais il interroge avec une égale tendresse la vieille théière, la vieille tirelire, la vieille lanterne, qui ont été ses humbles héroïnes, comme la vieille cloche dont les sons atténués lui parviennent de loin, comme le vieux portrait d’une belle dame inconnue… Évitez le mensonge, semble-t-il nous dire, recherchez avec amour les moindres parcelles de vérité. Cette double tâche sera très ardue, mais il importe de la mener à bien avant de mourir. Quand la vie vous sera trop amère, consolez-vous-en par le rêve ; quand les hommes vous seront trop hostiles, inclinez votre cœur sur les choses, elles sont douces, humbles, patientes, familières, comme l’eau chantée par saint François d’Assise. Ne mentez pas ; acceptez la volonté de Dieu ; et quand la vie vous semblera trop étroite, les hommes trop hypocrites, les choses trop monotones, regardez les nuages — Dieu ne le défend pas — regardez les nuages…