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LES FÉES DU CYCLE BRETON

qu’au temps de Geoffroy se l’étaient figurée les imaginations, ressemblait moins à la future Jeanne d’Arc qu’à la Morgane primitive ; mais quand Jeanne vint à la cour de France, il se trouva des personnes pour lui demander, si, près de son village, il n’était pas un bois Chenu. Le bois Chenu, le nemus canulum de Merlin, signifiait bois antique et vénérable. Il y avait assez de Calidons et de Brocéliandes dans les souvenirs druidiques, les traditions bretonnes et les légendes merliniques, pour expliquer la prophétie inventée ou recueillie par Geoffroy. Mais, près de Domrémy aussi, se trouvait un bois Chenu ou Chesnu[1].

Alors, sous des bonnets de docteurs, à la vue de Jeanne, de la Jeanne qui venait du bois Chesnu, quelques têtes se troublèrent. Or, Jeanne était la moins crédule personne du monde ; elle n’avait pas admis les racontars des commères de son village, sur leurs prétendues rencontres avec les fées autour de l’arbre fameux ; pas plus que, toute novice à la cour, elle ne s’était laissé tromper par les subtilités des diplomates bourguignons ; et aux gens qui lui parlaient du vieil enchanteur, elle répondait simplement : « Je ne crois pas aux prophéties de Merlin. » Elle connaissait trop intimement la vérité, pour ne pas discerner, au premier coup d’œil, le mensonge ou la fable.

Mais la simple et nette parole de Jeanne ne pré-

    revêtir une femme qui sauverait la France, après qu’une autre femme aurait perdu ce royaume. En cette dernière, on reconnut l’épouse de Charles VI. Malgré tout, il était impossible de prévoir le rôle de Jeanne d’Arc. La prophétie de Marie d’Avignon fut quelquefois confondue avec celle que, vers 1140, Geoffroy de Monmouth attribuait à son Merlin.

  1. M. Andrew Lang croit que ce bois s’appelait le bois Chesnu, ce qui signifierait le bois de chênes. L’étymologie n’est point la même, mais ceux qui créent les rumeurs populaires n’y regardent, habituellement, pas de si près !