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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

sur le nouveau-né. La plupart ont de jolis noms ; avec Morgane, il y a Gloriande, Sagremoire, Foramonde, Béatrice. Elles dictent les lois du destin. Elles ont la grâce et l’éclat des fleurs de lis. Elles embrassent l’enfant, et, se baissant, jouent avec lui. Elles l’aiment d’un amour impérieux, bizarre et défiant. Elles s’attendrissent sur lui, et pressentent déjà en lui l’homme qui sera capable de les faire souffrir, car les fées ont le faible cœur des plus faibles femmes. Aussi leur pitié est-elle mêlée d’ironie, leur tendresse d’hostilité. Cela même rend leur psychologie très complexe.

Ogier, dans la légende, fut un rude compagnon de Charlemagne, révolté contre l’empereur, parce que le fils de celui-ci, Charlot, avait tué le propre fils d’Ogier, Beaudouinet. Cet Ogier est un barbare : il subit de dures épreuves et accomplit d’étonnants exploits. La vieille chanson de geste le marie à la fille du roi d’Angleterre.

Les fées, toujours occupées de lui, récompenseront ses prouesses en le transportant après ses combats dans une de leurs îles fortunées, où le paradis dont il goûte les délices semblerait plutôt musulman que chrétien. Le grave et beau souhait des premières épopées : « que les anges te conduisent au Paradis ! » s’est ainsi dénaturé. Pourtant, si l’on veut en connaître la valeur esthétique, il faut l’imaginer, traduit en sculpture, au pourtour de quelque cathédrale : les anges silencieux et recueillis, portant quelque chevalier immobilisé par la mort et couché dans son armure, vers ce lieu de paix, de gloire et de justice où il trouvera l’éternel repos. Les fées d’Ogier ne feront nullement jaillir une telle source d’émotion et de beauté. Elles ne s’élèveront pas à la hauteur de la mission qu’elles reçoivent.