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IV

ACHILLE ET HOMÈRE


Manière aimable de faire naître dans le cœur d’un jeune prince l’amour des belles-lettres et de la gloire.


Achille. — Je suis ravi, grand poète, d’avoir servi à t’immortaliser. Ma querelle contre Agamemnon, ma douleur de la mort de Patrocle, mes combats contre les Troyens, la victoire que je remportai sur Hector, t’ont donné le plus beau sujet de poème qu’on ait jamais vu.

Homère. — J’avoue que le sujet est beau ; mais j’en aurais bien pu trouver d’autres. Une preuve qu’il y en a d’autres, c’est que j’en ai trouvé effectivement. Les aventures du sage et patient Ulysse valent bien la colère de l’impétueux Achille.

Achille. — Quoi ! comparer le rusé et trompeur Ulysse au fils de Thétis, plus terrible que Mars ! Va, poète ingrat, tu sentiras…

Homère. — Tu as oublié que les ombres ne doivent point se mettre en colère. Une colère d’ombre n’est guère à craindre. Tu n’as plus d’autres armes à employer que de bonnes raisons.

Achille. — Pourquoi aussi viens-tu me désavouer que tu me dois la gloire de ton beau poème ? L’autre n’est qu’un amas de contes de vieilles ; tout y languit ; tout sent son vieillard dont la vivacité est éteinte et qui ne sait point finir.

Homère. — Tu ressembles à bien des gens qui, faute de connaître les divers genres d’écrire,