Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/159

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conquis de grands royaumes ! cependant ils sont dans les ténèbres de l’oubli ; on ne sait pas même leurs noms. Les Muses seules peuvent immortaliser les grandes actions. Un roi qui aime la gloire la doit chercher dans ces deux choses : premièrement il faut la mériter par la vertu, ensuite se faire aimer par les nourrissons des Muses, qui peuvent les chanter à toute la postérité.

Achille. — Mais il ne dépend pas toujours des princes d’avoir de grands poètes : c’est par hasard que tu as conçu, longtemps après ma mort, le dessein de faire ton Iliade.

Homère. — Il est vrai ; mais quand un prince aime les lettres, il se forme pendant son règne beaucoup de poètes. Ses récompenses et son estime excitent entre eux une noble émulation ; le goût se perfectionne. Il n’a qu’à aimer et qu’à favoriser les Muses, elles feront bientôt paraître des hommes inspirés pour louer tout ce qu’il y a de louable en lui. Quand un prince manque d’un Homère, c’est qu’il n’est pas digne d’en avoir un ; son défaut de goût attire l’ignorance, la grossièreté et la barbarie. La barbarie déshonore toute une nation et ôte toute espérance de gloire durable au prince qui règne. Ne sais-tu pas qu’Alexandre, qui est depuis peu descendu ici-bas, pleurait de n’avoir point un poète qui fît pour lui ce que j’ai fait pour toi ? c’est qu’il avait le goût bon sur la gloire. Pour toi, tu me dois tout, et tu n’as point de honte de me traiter d’ingrat ! Il n’est plus temps de s’emporter ; ta colère devant Troie était bonne à me fournir le sujet d’un poème ; mais je ne puis chanter les emportements que tu aurais ici, et ils ne te feraient point d’honneur. Souviens-toi