Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/411

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libre partout. Si je vous eusse demandé votre couronne, l’ennui de votre prison vous aurait-il réduit à me la céder ?

François. — Non, sans doute, j’aurais mieux aimé mourir que de faire cette lâcheté : mais pour la mouvance du comté de Flandre, je vous l’abandonnai par lassitude, par ennui, par crainte d’être empoisonné, par l’intérêt de retourner dans mon royaume, où tout avait besoin de ma présence ; enfin, par l’état de langueur qui me menaçait d’une mort prochaine. Et, en effet, je crois que je serais mort sans l’arrivée de ma sœur.

Charles. — Non seulement un grand roi, mais un vrai chevalier, aime mieux mourir que de donner une parole, à moins qu’il ne soit résolu de la tenir à quelque prix que ce puisse être. Rien n’est si honteux que de dire qu’on a manqué de courage pour souffrir, et qu’on s’est délivré en promettant de mauvaise foi. Si vous étiez persuadé qu’il ne vous était pas permis de sacrifier la grandeur de votre État à la liberté de votre personne, il fallait savoir mourir en prison, mander à vos sujets de ne plus compter sur vous et de couronner votre fils : vous m’auriez bien embarrassé. Un prisonnier qui a ce courage se met en liberté dans sa prison ; il échappe à ceux qui le tiennent.

François. — Ces maximes sont vraies. J’avoue que l’ennui et l’impatience m’ont fait promettre ce qui était contre l’intérêt de mon État, et que je ne pouvais exécuter ni éluder avec honneur. Mais est-ce à vous à me faire un tel reproche ? Toute votre vie n’est-elle pas un continuel manquement de parole ? D’ailleurs ma faiblesse ne vous excuse point. Un homme intrépide, il est