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L’ÉTRANGE MUSICIEN

sayer d’éclaircir ce « mystère » qui lui paraissait plus ténébreux.

De fait, vers le milieu de la matinée du jour suivant, Brimbalon survenait aux abords de la cambuse de la mère Sirois. Mais là, il s’arrêta avec un sursaut de surprise et d’effroi. Tout lui avait paru silencieux et inhabité, lorsque soudain deux hommes armés sortirent brusquement d’un bouquet de buissons, deux hommes, jeunes et de belles statures, mais d’une physionomie inquiétante. Brimbalon ne connaissait pas ces hommes, ou du moins il ne les reconnaissait pas. Et l’un d’eux lui cria sur un ton rogne et menaçant

— Holà ! mendiant du diable ! que viens-tu faire ici ?

Le mendiant n’eut pas le temps d’articuler une syllabe en réponse, que l’autre individu criait à son tour :

— Décampe avec ta besace maudite et disparais, sinon, gare à la moelle de tes vieux os !

C’était trop catégorique pour insister, et Brimbalon tourna sur lui-même et détala, mais non sans murmurer quelques imprécations contre ce qu’il pensait être deux sentinelles, à moins que ces deux individus ne fussent des malandrins, ce dont, à la vérité, ils avaient bien l’air.

— C’est bon, se disait le mendiant tout en se sauvant vers la ville, je reviendrai et je trouverai le secret. Je suis certain qu’il y a là poudre et feu… nous verrons !

Revenir, oui, c’était aisé… Seulement, si les deux factionnaires se trouvaient là encore ?…

Brimbalon se dit qu’il imaginerait probablement un moyen d’avoir raison de ces deux cerbères.

Le mendiant médita pendant plusieurs jours, et chaque soir il allait, en se faufilant à travers la broussaille, jeter un furtif coup d’œil du côté de la cambuse mystérieuse. Et là, chaque fois, il percevait l’ombre des deux factionnaires.

L’affaire devenait de plus en plus intéressante, mais aussi de plus en plus intrigante. Dans l’imagination de Brimbalon elle prenait des proportions désordonnées et sans limite.

Mais comment aboutir à la clef du mystère ?

Enfin, Brimbalon trouva l’idée.

Un matin, il frappa à la porte de la mère Babeux et lui dit :

— Mère Babeux, je désire vous faire gagner vingt écus. Ça vous va-t-il ?

La mère Babeux ouvrit des yeux énormes. Vingt écus !… Une fortune !…

— Si ça me va… balbutia-t-elle troublée par l’émotion, ça ne se demande même pas !

— En ce cas, laissez-moi entrer et je vous expliquerai l’affaire.

Il entra pour demeurer dans la maison une demi-heure. Et lorsqu’il sortit, accompagné sur le pas de la porte par la mère Babeux, le mendiant était tout souriant et sautillant.

— C’est bon, mère Babeux, c’est entendu et compris ! À ce soir, mère Babeux… à ce soir !

Et Brimbalon regagna son logis.

Quand la nuit fut tombée, le mendiant quitta sa baraque pour se rendre chez la mère Babeux. Il dit à la vieille :

— Il est l’heure convenue, mère Babeux… Venez !

Ils partirent aussitôt tous deux dans la direction de la cambuse habitée par la sorcière.

Disons ici que la mère Sirois était une vieille femme et veuve depuis de nombreuses années. Elle vivait seule. De quoi ? On ne le savait pas, mais on se l’imaginait. Elle ne mendiait pas et ne quittait sa cambuse que pour aller aux provisions. Mais le bruit courait qu’elle disait la bonne aventure aux bourgeois de la haute-ville, et cela suffisait pour qu’on se dit que ces bourgeois ne quittaient pas la mère Sirois sans laisser tomber dans son tablier quelques poignées d’écus. Selon les dires des habitants de la basse-ville, la vieille lisait dans l’avenir, et tout ce qu’elle prédisait arrivait juste à l’heure et à la minute et tel qu’elle avait dit. Aussi, le peuple, toujours plus ou moins superstitieux, l’avait-il de ce jour considérée comme sorcière. Il n’en fallait pas davantage pour qu’on s’écartât d’elle et de sa cambuse avec crainte. On rapportait encore que la vieille femme buvait des quantités énormes d’eau-de-vie, elle buvait, tant qu’elle ne s’affaissait pas ivre morte.

Lorsque Brimbalon et sa compagne furent à mi-chemin à peu près entre les dernières maisons de la basse-ville et la cabane de la mère Sirois, tous deux s’arrêtèrent.

Le ciel nuageux faisait la nuit plus noire, et il fallait savoir le chemin par cœur pour s’aventurer jusque-là.

Brimbalon dit :

— Mère Babeux, vous allez me laisser continuer le chemin pour environ cinq minutes, ensuite vous ferez comme je vous ai expliqué. Si mon moyen ne réussit pas, je n’aurai qu’à prendre d’autres mesures.

— Allez, père Brimbalon, je tiens à gagner les dix autres écus qui me reviennent.

— Ainsi, vous n’avez pas peur ?

— Pourquoi avoir peur ? Pas de la sorcière, hein ! Je la connais trop bien. Et pas de ces hommes dont vous avez parlé, car qui donc voudrait faire du mal à une pauvre vieille comme moi ? Non ! non ! allez, et je ferai comme vous avez dit.

Brimbalon poursuivit son chemin et disparut dans la noirceur. Quand il arriva en vue de la cabane, après cinq minutes de marche, il aperçut le même rayon de lumière et les mêmes ombres humaines qui passaient et repassaient. Le mendiant s’enfonça dans les buissons longeant le chemin. À l’instant même un cri de femme retentissait dans la nuit silencieuse : c’était la mère Babeux qui criait comme si quelqu’un l’eût égorgée. Puis un autre cri… mais plus déchirant ! Puis, un long appel au secours… Et tout cela était si réel, que Brimbalon en frémissait d’angoisse. Oui, mais personne n’avait l’air de bouger du côté de la cambuse.

Brimbalon, au guet dans les broussailles, s’impatientait.

— Les sacripants, que font-ils ? N’ont-ils pas de cœur ? Vont-ils laisser égorger cette pauvre vieille ?

Et la mère Babeux hurlait de plus belle…

Mais voici que deux silhouettes d’hommes accourent, passent tout près du mendiant qu’ils