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LA BESACE DE HAINE

à Versailles ! Elle est si affreuse, si tragique, qu’elle finira dans le sang et le déshonneur de la France entière !

L’accent de Flambard était si prophétique que Vaudreuil frissonna.

— Monsieur, continua Flambard, permettez-moi un avis : si, un jour, vous avez besoin d’aide ou de protection à la cour de Versailles, présentez-vous à Madame de Pompadour, quoiqu’il vous en coûte ! Si vous avez à plaider devant le roi une cause quelconque, prenez pour avocat Madame de Pompadour ! Si votre tête chancelait un jour, excellence, c’est moi qui vous le dit, prosternez-vous devant Madame de Pompadour, quelque humiliant que cela vous paraisse ! Car sans elle, tout n’est rien, comme rien est tout ! C’est la maîtresse de la France, c’est notre maîtresse à nous, monsieur, quoique nous nous rebutions ! Et elle sera notre maîtresse, quoique nous fassions pour nous en débarrasser ou pour en débarrasser la France, aussi longtemps que le roi sera son esclave ! Aussi longtemps qu’elle fera des ministres du roi ses esclaves ! Aussi longtemps qu’elle maintiendra la noblesse de France dans l’esclavage ! Car elle est plus reine que la plus grande des reines, d’un souffle elle peut jeter à bas des empires puissants ! Et cette reine, monsieur, acheva Flambard en frappant la table de son poing, ne tombera que sous les coups d’une autre reine plus puissante, mais hélas ! trop lente… la Mort !

— Oui, oui, murmura Vaudreuil, songeant le front dans les mains, c’est terrible ce que vous dites, et vous faites entrer dans mon esprit de sombres pressentiments. Monsieur Flambard, vous me faites peur !

— Et moi donc qui n’ai jamais connu la peur ! ricana sourdement Flambard. Eh bien ! oui, j’ai peur aussi… j’ai peur, mais pas tant de cette femme là-bas que de ce Bigot ici, et que je vous ai dépeint à clair.

— Par Notre-Dame ! cria tout à coup Vaudreuil en se levant et en frappant du pied, si c’est ainsi que vous dites, je vous donne carte blanche. Tant pis, ma foi, pour les traîtres et les assassins que vous démasquerez… frappez !

— Merci, excellence… je frapperai !

Et Flambard, s’étant incliné, prit congé.


— VIII —

QUE VA DEVENIR HÉLOÏSE DE MAUBERTIN ?


Contre Héloïse, martyre, le sort semblait s’acharner, ou plutôt ses ennemis ne cessaient de méditer les plus affreux tourments. Et ses amis semblaient demeurer impuissants à l’arracher aux monstres qui la tenaient prisonnière.

Après avoir reçu carte blanche de M. de Vaudreuil, Flambard s’était de suite mis à l’œuvre, secondé par le père Croquelin qui, en dépit de son âge avancé, ne voulait pas demeurer tout à fait inactif. Le père Croquelin se bornait à fureter, et c’était l’un des meilleurs moyens pour découvrir un indice. L’indice… voilà seulement ce que Flambard demandait ! L’indice nécessaire pour confirmer ses soupçons, ensuite il marcherait ! Et cet indice, Flambard allait bientôt l’avoir, après avoir réussi à gagner à prix d’or un domestique du Palais de l’Intendance, un domestique chargé de surprendre les secrets de Bigot et de son âme damnée, Deschenaux.

Le matin de ce jour, où Flambard avait été reçu par le marquis de Vaudreuil en audience privée, Bigot avait appelé son secrétaire et lui avait dit rudement :

— Mon ami, cette Héloïse de Maubertin, devient encombrante et elle finira par nous attirer quelque foudre secrète. J’ai reçu, par un courrier qui m’est arrivé par voie de la Nouvelle-Angleterre, une lettre m’annonçant que Flambard avait écrit au roi et m’avait dénoncé comme traître et renégat.

Disons ici, comme fait historique, que Berryer, alors ministre de la marine en France, avait écrit une longue lettre récriminatoire à l’intendant, lettre qui avait jeté l’effroi dans l’âme peu sensible de Bigot.

— Or, voilà un ennemi, avait poursuivi l’intendant, à qui nous n’avons pas assez pensé. Je m’imagine bien que Flambard nous soupçonnait de nous être emparés de la fille du comte de Maubertin, et, comme une manière de se venger, il a écrit au roi ses soupçons.

Deschenaux se mit à rire.

— Flambard ne savait pas et il ne sait pas encore, dit-il.

— Non ? Pourquoi ?