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LA BESACE DE HAINE

— Parce que si Flambard avait su que la fille du comte était en notre pouvoir, il serait venu nous la prendre. Il avait appris qu’elle était, un jour, chez Mlle Pierrelieu, il y est allé. Donc, s’il n’est pas venu à nous, c’est qu’il ne sait pas !

— Es-tu bien sûr, au moins, qu’il ne sache pas ?

— J’en suis sûr, parce que Flambard, quand il sait, agit avec la rapidité de la foudre.

— Eh bien ! craignons la foudre ! Héloïse de Maubertin doit mourir, elle doit mourir parce que Jean Vaucourt, son mari, est revenu à la vie et à la force, parce que bientôt il quittera l’hôpital, et parce que Jean Vaucourt et Flambard vont finir par nous perdre. Il faut qu’elle disparaisse, ami, il faut qu’elle meure !

— Soit, consentit Deschenaux, elle mourra !

Et il partit sur ces mots.

Or, un domestique préposé au service direct de l’intendant avait entendu cette conversation, un domestique qui avait à se plaindre d’une injustice quelconque de la part du secrétaire de Bigot, un domestique qui s’était mis à haïr Deschenaux, et sur ce domestique Flambard était tombé par hasard. Par hasard ?… C’était peut être une de ces mille voies secrètes dont se sert la Providence pour secourir la vertu et châtier le mal !

C’était en avril seulement que Flambard avait pu acquérir les services de ce valet qui lui avait rapporté ce colloque entendu un jour entre l’intendant et Deschenaux. Sur le coup Flambard crut qu’Héloïse avait été définitivement rayée du monde des vivants, car il se doutait bien que Bigot et Deschenaux étaient hommes à accomplir dans le plus bref délai cette terrible décision. Flambard fut dont désespéré de sauver la jeune femme, lorsque quelques jours plus tard, le même domestique vint l’assurer que la femme de Jean Vaucourt vivait encore. Où ? Voilà ce qu’il ne savait pas ; mais il soupçonnait que la jeune femme demeurait la prisonnière de Deschenaux dans la maison de l’intendant, rue Saint-Louis.

— Eh bien ! s’était dit Flambard, je pense que j’aurai bientôt le fil conducteur !…

Revenons maintenant à Deschenaux. Après avoir pris la décision, de concert avec son patron l’intendant, de mettre à mort Héloïse, Deschenaux, cependant avait hésité. Après avoir aimé Héloïse, il la haïssait maintenant à ce point qu’il l’eût vouée aux plus atroces souffrances. Pourquoi cette haine subite ? Parce que Héloïse, bien qu’elle fût en son pouvoir, l’avait détourné de son but infâme : Deschenaux n’avait pu approcher la jeune femme plus que les convenances permettaient. Après les premières déceptions, était venue une sorte d’indifférence moqueuse, puis, peu à peu, la haine avait surgi. La tuer !… cela avait été la première pensée de son âme jalouse, envieuse et vindicative ! La tuer, oui… mais la mort était une délivrance et non une souffrance ! Il réfléchit longtemps. Il chercha quelque torture raffinée, il tourmenta son esprit inventif à tel point qu’un matin, en se levant après une orgie, il crut avoir trouvé. Il grinça des dents avec rage, avec une joie sauvage, avec haine.

— Voilà comment je la briserai ! se dit-il.

C’était aux derniers jours de mai.

Deschenaux manda auprès de lui le chef des gardes et cadets de la maison de l’Intendant. C’était ce Verdelet que Flambard, comme on se le rappelle, avait pendu puis dépendu dans le logis du père Vaucourt à la Basse-Ville. Verdelet qui jusqu’à ce moment où il s’était trouvé sur le chemin de Flambard, avait fait partie des gardes de M. de Vaudreuil, avait conçu une telle haine contre Flambard, que cette haine avait rejailli sur Jean Vaucourt presque instantanément. Aussi, en apprenant que Jean Vaucourt avait été nommé au poste de capitaine des gardes, s’en alla-t-il demander à Bigot de l’enrégimenter parmi ses gardes et cadets. Bigot, qui de suite avait pensé que, plus tard, il pourrait peut-être utiliser cette haine du garde à son profit, s’entendit avec M. de Vaudreuil et prit ce Verdelet à son service.

Mandé par Deschenaux, Verdelet se présenta.

— Verdelet, dit-il, je vais encore mettre ton dévouement à l’épreuve.

— S’agit-il encore de Flambard ? Et dans le regard de Verdelet jaillit un effluve sanglant.

Deschenaux sourit et reprit :

— Oui, de Flambard et d’autres, de ceux qu’il appelle ses amis !

— Monsieur, ordonnez !