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Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/146

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— Mon cher Marion, fit Marcil avec un regard d’admiration, pour raisonner aussi tranquillement alors, que nous allons nous trouver bientôt dans la plus sanglante mêlée peut-être, il faut que tu sois bien brave ! Oui, tu es plus brave que moi, bien que la pensée de la mort ne m’émeuve seulement pas.

— Oh !… répondit Jules négligemment, si je n’ai pas peur, ce n’est pas ma faute : je suis fait ainsi. Tiens, tu peux me croire, tout simplement j’ai hâte de voir ça…

— Moi aussi. Et regarde les camarades : tous sont anxieux… et tous, si on leur disait : En avant ! d’un bond ils seraient sur le parapet faisant face aux Prussiens.

— Ils y seront tout à l’heure…

— Nous y serons tous, mon vieux…

— Et moi le premier ! murmura derrière nos deux amis la voix tranquille de Raoul Constant.

— Les ordres ? interrogea Jules.

— Attendre les Boches.

— Ensuite ? demanda Marcil à son tour.

— Leur faire une « charmante » réception, au premier coup de sifflet.

Ils l’auront… acheva Marcil sur un ton décidé.

Maintenant, Raoul Constant, le sergent Ouellet et le caporal Bédard donnaient des ordres… Et ces ordres se répétaient de bouche en bouche, le long de la tranchée qui serpentait jusqu’à la colline où le Vingt-Deuxième — d’autres braves là encore ! — était lui aussi sur le qui-vive.

Soudain, un « chut » discret circula comme un souffle.

Les regards brillèrent, les respirations s’arrêtèrent une minute…

Diffusément dans le brouillard qui commençait à se dissiper, on pouvait distinguer des ombres grises, grouillant, avançant lentement doucement…

Puis ces ombres se dessinèrent — s’amplifièrent, — puis une masse compacte, silencieuse et résolue sortit tout à coup du brouillard…

C’étaient les Boches !

Un frémissement secoua nos kakis !

Raoul Constant, le sifflet aux lèvres, debout près d’une mitrailleuse prête à gronder, attendait, froid et calme, le moment de donner le signal.

Et les Allemands avançaient d’un pas cadencé, le fusil en avant la baïonnette menaçante. Un nouveau frisson — non un frisson de terreur, mais d’enthousiasme — passa sur ces braves descendants de la fière Normandie…

Et le coup de sifflet retentit, suivi au même instant d’un effroyable crépitement : les mitrailleuses et les fusils souhaitaient la première bienvenue aux régiments prussiens.