Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et fait quatre prisonniers, pendant que six cadavres gisaient à ses pieds.

Et il rayonnait, il exultait, au moment où les autres kakis s’empressaient autour de lui pour le féliciter.

Marcil avait eu, à la fin, la vraie bataille qu’il avait rêvé… qu’il avait ambitionnée.

— Maintenant, disait-il à Jules Marion avec un sourire candide, si je mourais, ça me ferait moins de peine.


V

À L’HÔPITAL PROVISOIRE


Cette affaire avait coûté à la compagnie de Raoul Constant soixante hommes, et la perte de vie totale du bataillon Saint-Louis se chiffrait à deux cent cinquante. Quant au Vingt-Deuxième, il perdait au-delà de trois cents hommes et quelques officiers. Mais en revanche nos deux bataillons avaient conquis cinq cents mètres de tranchée, enlevé à l’ennemi une dizaine de mitrailleuses et fait cent cinquante prisonniers.


La nuit tombait — une nuit-noire, sans étoiles, morne et silencieuse — sur se secteur canadien où le calme s’était rétabli.

Entre les tranchées allemandes et les tranchées canadiennes, on pouvait voir des ombres s’agiter, aller çà et là, furtives et silencieuses.

Les unes — ambulanciers et brancardiers — ramassaient les blessés : d’autres jetaient dans les tranchées démolies et abandonnées, dans les cratères et les excavations de toutes espèces, des cadavres et des paquets de chairs sanglantes et à demi gelées : d’autres encore réparaient les défenses de fil de fer barbelé.

Enfin, un certain groupe de nos braves creusaient un boyau de communication pour relier à nos parallèles la tranchée prise aux Allemands dans la journée.

À l’arrière, sur une route défoncée par les obus — route qui conduisait aux ruines d’un petit village où l’on avait installé récemment un hôpital provisoire — sur cette route noire, difficile de passage, trois hommes cheminaient lentement côte à côte.

C’étaient nos trois amis Raoul Constant, Jules Marion et Marcil.

Les ambulances, bondées de blessés, n’avaient pu emmener Raoul. Aussi, après un pansement sommaire, le Colonel avait-il demandé à Jules et Marcil de conduire le lieutenant à l’hôpital.

Et ils étaient partis, Raoul Constant soutenu par le bras vaillant de ses deux amis.

La nuit n’était pas froide, et cette marche d’à peine deux milles — même pour Raoul blessé était un dégourdissement, un plaisir.