Page:Féron - La vierge d'ivoire, c1930.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
LA VIERGE D’IVOIRE

fluaient en torrent à ses yeux, la jeune fille courut s’enfermer dans sa chambre.

Philippe partit le cœur navré.

L’amour… il n’avait jamais pensé à cela sérieusement. Jamais dans son cœur une fibre n’avait tressailli devant une vision de jeune fille. Mais voilà que tout à coup quelque chose de doux et de tendre résonnait au fond de son âme ! Une image de jeune fille… une image céleste peut-être se dessina sous ses yeux, une image inconnue ! Il regarda l’image avec attention, il contempla la jeune fille avec ravissement : c’était une blonde dont la tête était couronnée de beaux cheveux blonds, avec des yeux doux et tristes, des joues blêmes, une bouche souriante mais légèrement crispée par une souffrance quelconque ! Cette jeune fille… où donc l’avait-il vue déjà ?

Mais c’était uniquement une vision de l’imagination ! Jamais il n’avait vu cette physionomie mélancolique, ces yeux tristes qui le regardaient avec persistance ! Il était en train de faire un rêve inouï ! Cette image qu’il voyait, ce n’était pas celle d’Hortense ni celle d’Eugénie ! Il regarda encore, il pénétra plus avant, pour ainsi dire, dans la vision. Allons, bon ! voilà que son imagination lui représentait… mais quoi donc ?… Mais oui, assurément, ce n’était pas autre chose : il voyait l’image de cette pauvrette des Deux Orphelines : Louise !

Il s’en alla ému… incapable de chasser de son esprit l’image de cette jeune fille blonde et pâle qui ne cessait de lui sourire.

Il s’en alla, laissant derrière lui une autre jeune fille qui, renversée sur le travers de son lit blanc, pleurait d’abondantes larmes.

Pauvre Hortense ! c’était son premier amour ! Après les joies enivrantes de l’espoir et de l’amour, la déception torturait son cœur, elle le tuait, presque !


VI

LA PETITE MORIBONDE


Le négociant, M. Roussel, habitait sur la rue Sainte-Famille. C’était un véritable foyer de bonheur que le sien. M. Roussel possédait la fortune, la bonne réputation, une femme dévouée qu’il aimait, une fille unique qu’il adorait, Lysiane.

Depuis vingt-deux ans que M. Roussel avait fondé son foyer, jamais un souci grave n’était venu troubler sa paix, jamais une dispute ne s’était élevée sous son toit. Et pendant ces vingt-deux ans M. Roussel et sa femme avaient vécu comme en un paradis, tous deux contents de la vie. Leur fille avait été l’ange récréatif du foyer jusqu’au jour où il avait fallu mettre Lysiane au pensionnat. On avait bien un peu souffert de cette séparation, mais on comprenait que le vrai bonheur ne s’achète que par les sacrifices. Durant cinq années Lysiane était demeurée au pensionnat, ne venant séjourner chez ses parents que durant les trois mois de vacances. Mais à dix-huit ans elle était revenue pour toujours, bien instruite, heureuse, pour continuer la joie au foyer paternel. Et depuis deux ans car Lysiane atteignait maintenant l’âge de vingt ans — le bonheur avait été parfait.

Mais voilà que tout à coup un mal étrange, un mal inconnu s’était emparé de la jeune fille ; c’était au mois d’octobre. Ce mal avait tout d’abord produit chez Lysiane un ennui de tout, un dégoût pour les choses de la terre, une indifférence pour tout ce qui l’entourait. Ensuite la lassitude l’avait clouée presque journellement sur une chaise-longue, et peu après elle dut prendre le lit. Elle s’était très vite amaigrie, ses joues s’étaient creusées, ses lèvres s’étaient décolorées, et l’on eût juré que l’anémie allait emporter vers la cendre ce jeune corps, si sain et si vigoureux, que la maladie n’avait pas encore effleuré jusqu’à ce jour funeste.

Le docteur Rouleau avait été appelé d’urgence ; mais n’ayant pu trouver de symptômes définis, il avait hoché gravement la tête. Néanmoins il avait promis de faire tous ses efforts pour trouver ou localiser le mal, et d’appeler à son aide tout ce que la science moderne pouvait